Eaux jaunes : « nos déchets sont nos ressources »
Le tri des déchets ménagers auquel nous sommes habitués doit désormais, face aux défis environnementaux actuels, entraîner dans son sillage des mesures plus engagées, notamment pour ce qui concerne la problématique de l’eau, ressource vitale. La réutilisation des eaux jaunes, ou urines humaines, émerge comme une réponse innovante et une solution durable. Cette pratique, encore peu répandue, peut transformer nos modes de vie et contribuer significativement à la préservation de l’eau et à l’agriculture durable.
A lire aussi : « L'urine humaine, un engrais inattendu, mais efficace et moins polluant«
Table des matières
Réutiliser les eaux jaunes : Une solution innovante pour un avenir durable
Dans un contexte où les enjeux de l'eau, de la biodiversité et de l'agriculture durable sont plus pressants que jamais, la réutilisation des eaux jaunes, autrement dit l'urine humaine, se profile comme une solution particulièrement prometteuse et viable. Dès l’Antiquité et dans de nombreux pays, le lisain ou « urine stockée » était utilisé comme fertilisant. Cette pratique sous sa forme naturelle, abandonnée par l’agriculture moderne, offre des perspectives prometteuses pour réduire notre empreinte écologique (installation de toilettes séparatives, urinoirs secs, collecte séparée plus économes en eau) et promouvoir une agriculture plus responsable. En effet, en réutilisant les nutriments contenus dans notre urine – tels que l’azote et le phosphore – nous pouvons fertiliser nos cultures. Chaque année, un adulte produit en moyenne 500 à 600 litres d’urine qui serait suffisant pour fertiliser la production de céréales qu’il consomme sur la même période.
Des défis environnementaux poussant à un appel à l’action
Nos sociétés sont confrontées à des défis environnementaux d'une ampleur sans précédent. La gestion de l'eau, la souveraineté alimentaire et le respect de la biodiversité sont des enjeux majeurs qui nécessitent des solutions innovantes. Actuellement, nos modes de vie et de production montrent des aberrations notables : l’utilisation d’eau potable pour les WC et les urinoirs, la sur-utilisation d’engrais chimiques et la dégradation continue des écosystèmes en sont des exemples flagrants.
Concernant les eaux jaunes, "seuls 5 % de l’azote sont recyclés en agriculture alors que cet azote représente plus de 150 % des besoins agricoles en Ile-de-France", rappelle l’OCAPI. Or, en valorisant l’azote présent dans l’urine, on réduit les émissions polluantes des stations d’épuration et on dispose de fertilisant naturel. En effet, plus de 80 % de l’azote présent dans les eaux usées provient des urines alors que les urines ne représentent que 1,3 % du volume total des eaux usées.
Les stations d'épuration ont des limites et ne traitent pas tous les polluants.
Seulement 1,6 % des stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) de France disposent aujourd’hui de systèmes de désinfection des bactéries fécales. Certains résidus de médicaments et de maladies ne sont pas traités par les STEP. Les stations d’épuration sont énergivores, principalement pour traiter l’azote.
Par ailleurs, "nous achetons 80 % de l’azote que nous consommons à des pays tiers plus ou moins conciliants« , expliquait Antoine Peillon, secrétaire général à la planification écologique, en mai dernier lors de la Commission d’Enquête sur la souveraineté alimentaire de la France. Il y a donc là aussi un défi à relever, du côté de la souveraineté de notre chaîne agroalimentaire et de notre dépendance à certaines importations.
Forts de ces constats et tandis que les sécheresses sont de plus en plus sévères, il est impossible de ne pas se sentir concerné, et aberrant d’utiliser l’eau potable sans restriction, jusque dans nos toilettes alors que nos réseaux d’assainissement sont en crise. La consommation moyenne en eau potable est de 148 litres/habitant/jour (contre 165 en 2004), et une grande partie est gaspillée pour des usages non essentiels.
L’eau jaune : une ressource à exploiter
L’urine humaine, souvent perçue comme un déchet, recèle pourtant des propriétés précieuses pour l’agriculture. Riche en azote et phosphore, l’urine est un fertilisant naturel d’une efficacité remarquable. Selon une étude de l'Université de Wageningen, les nutriments présents dans l’urine sont supérieurs à ceux des engrais de synthèse, ce qui en fait un fertilisant de choix pour l’agriculture durable. Les nouvelles méthodes d’assainissement, basées sur la séparation à la source, permettent la récupération et la réutilisation des ressources contenues dans les déchets de la ville et permettrait de réduire de 35 à 47 % les émissions d’ammoniac, tout en diminuant le recours à l’eau potable.
La réutilisation des eaux jaunes présente ainsi de nombreux avantages : une réduction effective de la pollution de l'eau, en limitant les excédents d’engrais chimiques qui contaminent les nappes phréatiques et s’inscrit dans une logique d’économie circulaire en transformant un déchet en ressource utile pour l’agriculture.
Pour intégrer pleinement les eaux jaunes dans nos pratiques agricoles, un changement profond est nécessaire. Cela implique non seulement des innovations technologiques, mais aussi un soutien politique et une volonté collective de transformer nos habitudes.
A lire aussi : « Des toilettes sèches transforment l'urine en fertilisant naturel«
Vers une transformation des pratiques et des politiques
D’un point de vue pratique, il s’agit de trier nos "déchets" à la source, c’est-à-dire de séparer les flux avant même qu’ils rejoignent les réseaux d’assainissement, dès nos toilettes en séparant les urines des matières fécales (eaux noires) pour en extraire les nutriments qui serviront à l’agriculture et permettront de diminuer lerecours aux engrais chimiques. Il est pour cela nécessaire de développer des systèmes de collecte et de traitement des eaux jaunes dans les bâtiments existants et les nouvelles constructions. Les technologies de filtration et de purification doivent être adaptées à chaque projet pour garantir la sécurité et l’efficacité de l’utilisation des eaux jaunes. Il faut aussi, comme cela s’est fait pour le tri des déchets ménagers, informer, sensibiliser et former le grand public et les agriculteurs sur les avantages et la sécurité de la réutilisation des eaux jaunes.
Des projets ont déjà abouti, notamment avec l’Agence spatiale européenne (ESA) qui a équipé son siège parisien de toilettes séparatives. Un autre exemple est celui de l’écoquartier Saint Vincent de Paul situé dans le 14ème arrondissement de Paris, qui expérimentera en 2026 le premier réseau d’urine géré par la ville, dont l’engrais extrait servira aux espaces verts.
Parallèlement, des projets pilotes comme ceux menés par l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), testent la faisabilité de l’utilisation des eaux jaunes dans divers types de cultures et sols.
Ces initiatives nécessitent, pour se développer à plus grande échelle, des politiques publiques soutenantes, offrant par exemple des subventions pour la mise en place de systèmes de traitement ou intégrant la réutilisation des eaux jaunes dans les normes de construction écologiques.
Un futur durable à portée de main
Face à la raréfaction de l'eau potable, la gestion durable des ressources en eau devient cruciale. Le traitement des eaux jaunes pour la réutilisation en agriculture est une solution prometteuse qui utilise peu d'eau potable, réduit la charge sur les infrastructures d'assainissement et fournit une alternative écologique aux engrais chimiques. Son adoption plus large pourrait jouer un rôle clé dans la gestion durable des ressources en eau et la promotion d’une agriculture respectueuse de l’environnement. Il est impératif que les pouvoirs publics, les acteurs économiques et la société civile se mobilisent pour faire, de cette vision, une réalité tangible et progressivement généralisée.
Pour aller plus loin…
La traditionnelle toilette sèche pourrait également investir nos bâtiments modernes car le compost de nos selles mélangées ou non à nos urines est également une ressource qui nourrit le sol.
Et quand la valorisation de nos déjections n’est pas compatible avec le projet, il convient d’envisager néanmoins des solutions pour une gestion à la parcelle afin de limiter l’usage des STEP. Le compost n’a pas besoin d’être utilisé. Il réduit de lui-même.
Il existe également des technologies low-tech émergentes comme la tranchée de filtre à broyat de bois. Une expérimentation prometteuse à l’échelle nationale tente d’homologuer cette solution afin de traiter à la parcelle – c’est à dire au plus près de là où tombent les gouttes – les urines et les eaux savonneuses permettant ainsi gestion totale à la parcelle à moindre coût.
Source: www.linfodurable.fr