Au Salon de l’agriculture, l’heure de la forêt
Alliées au climat, les petites bêtes qui s'attaquent aux cultures n'épargnent pas les arbres: au Salon de l'agriculture, scientifiques et forestiers exposent au grand public les menaces pesant sur le massif français et les gestes du quotidien aidant à le préserver.
Le constat est lourd. Micro à la main, Albert Maillet, directeur Forêts et risques naturels à l’Office national des forêts (ONF, gestionnaire des forêts publiques) raconte lors d’une conférence de presse mercredi, l’histoire d’arbres qui ont vu passer révolutions et changements d’ère.
La forêt métropolitaine française (17 millions d'hectares) continue de grandir mais s'essouffle: en dix ans, son accroissement "a diminué de 10%", sa mortalité a augmenté de plus de 50% et le puits de carbone qu'elle représente "a été divisé par deux", explique-t-il aux visiteurs du Salon, qui se tient jusqu'au 3 mars à Paris.
En cause, le manque d'eau, une chaleur parfois extrême qui voit des conifères et des chênes "mourir de soif et de faim". Ces géants affaiblis sont la proie facile d'une cohorte de champignons et d'insectes: "c'est la régalade", résume Albert Maillet.
L'assistance s'autorise un sourire, vite effacé. Philippe Reignault, directeur Santé des végétaux à l'agence sanitaire Anses, s'est mis à décrire les armées d'envahisseurs.
Il y a la "chalarose du frêne", une infection fongique redoutable qui progresse de 60 km par an, probablement venue d'Asie – "les jeunes pousses dépérissent en quelques mois, on n'a le temps de rien faire" -; le "Phytophthora ramorum", un "micro-organisme d'origine américaine connu pour attaquer les rhododendrons des jardins" qui a changé d'hôte et s'est abattu sur les mélèzes des forêts bretonnes – "on a pu l'éradiquer en établissant des zones tampon" -; les scolytes, ces insectes xylophages qui ont ravagé les épicéas du Grand-Est…
"Que ce soient les cultures, les forêts ou les environnements urbains, aucun compartiment n'est à l'abri": c'est tout le train du végétal qui subit l'assaut de nouvelles maladies.
– "Microbiote en péril" –
Deux facteurs principaux expliquent cette "pression sanitaire" pour Philippe Reignault.
"Le premier, très clairement, ce sont les échanges: les végétaux qu'on achète, qu'on vend, rapportés par des voyageurs (…) parfois sans vraiment de véritables intentions", dit-il, rappelant que l'introduction de plantes, fruits et graines est strictement réglementée.
Ainsi, une jeune femme croisée au stand de l'Anses regrette la branche d'olivier rapportée de Tunisie lors de ses dernières vacances – "Je ne savais pas", dira-t-elle à l'AFP.
"Le deuxième est le dérèglement climatique" qui, explique le scientifique, non seulement affaiblit les plants, mais "impacte les communautés microbiennes du sol et des végétaux", mettant le microbiote des sols forestiers "en péril".
Le public veut savoir comment faire pour "aider la forêt".
Chacun doit, à son niveau, prendre garde à ne pas jeter un mégot qui embrasera un massif entier, l'incendie devenant une menace majeure jusque "dans la partie nord de la France" et plus seulement l'été, souligne Albert Maillet.
De leur côté, scientifiques, forestiers et Etat vont chercher à aider la forêt à encaisser en quelques années un "choc thermique de 10.000 ans", explique-t-il, l'ONF partant de l'hypothèse des climatologues du Giec d'un réchauffement de +4°C à l'horizon 2100 – contre environ +1,8°C depuis le début du XXe siècle.
Le plan de bataille de l'ONF concerne la moitié de la forêt, qui "sera en inconfort climatique" d'ici 2050: il vise à diversifier les essences, pratiquer une "migration assistée" d'espèces sudistes vers le nord, voire à implanter des arbres venus d'ailleurs.
Mais quoi qu'il arrive maintenant, le visage de la forêt "va changer". Demain, au côté des chênes et pins maritimes, les générations futures verront peut-être des séquoias de Chine, des pins de Turquie et davantage de cèdres de l'Atlas.
Source: www.linfodurable.fr