Des taux d’intérêt « verts », nouvelle piste pour favoriser la transition écologique
Des taux d’intérêt plus élevés pour les projets d’énergies fossiles? Le président Emmanuel Macron a récemment défendu cette nouvelle piste pour favoriser le développement des énergies vertes, mais sa mise en oeuvre semble délicate en Europe.
"Le coût de l'investissement doit être à l'avenir plus élevé pour un acteur qui s'engage dans le secteur fossile. Nous avons besoin d'un taux d'intérêt vert et d'un taux d'intérêt brun", a déclaré le président dans une tribune parue fin décembre dans Le Monde, sans davantage préciser son idée.
L'objectif de cette différenciation serait de permettre aux investisseurs de financer à moindre coût les énergies bas carbone, dites "vertes", grâce à un taux d'intérêt plus faible que pour les énergies fossiles, dites "brunes".
"On manque d'un cadre international suffisamment robuste qui puisse dire qu'il est légitime de favoriser les énergies propres par rapport aux énergies fossiles", explique-t-on à l'Élysée pour justifier la prise de position de M. Macron, déjà exprimée lors de la COP28 de Dubaï en novembre.
"Aujourd'hui, une part significative du coût des renouvelables provient du capital", c'est-à-dire des fonds nécessaires pour développer les projets, "ce qui retarde leur déploiement", explique Lucie Pinson, directrice de l'ONG Reclaim Finance, qui cherche à mettre la finance au service de la lutte climatique.
La déclaration d'Emmanuel Macron a suscité de l'enthousiasme parmi les ONG environnementales et certains économistes qui prônent un virage en faveur de l'écologie dans les politiques monétaires.
"Pour une fois, un très haut responsable politique ne prend plus comme base le risque financier, mais explique directement qu'il faut un taux vert et un taux brun pour leurs implications directes sur le climat", salue l'économiste Nicolas Dufrêne.
– L'obstacle de la "neutralité monétaire" –
Mais en France, et plus largement en Europe, le seul acteur susceptible d'opérer un tel changement est la Banque centrale européenne (BCE). C'est elle qui, en fixant ses taux directeurs, influence les taux du marché et – en bout de chaîne – les taux auxquels prêtent les banques.
Jusqu'à présent, l'institut monétaire de Francfort a refusé de pousser ses prérogatives aussi loin, en vertu du principe de "neutralité monétaire" selon lequel la BCE ne doit privilégier aucun actif ou secteur en particulier.
Pour l'économiste Nicolas Dufrêne, "la neutralité monétaire favorise le statu quo, et donc le financement des entreprises qui dominent actuellement le marché, dont des entreprises +fossiles+".
Très attachées à ce principe, les banques centrales des pays du nord de l'Europe pourraient mettre un veto à un projet de taux différenciés.
Ces pays sont "certes orthodoxes (sur le plan monétaire, NDLR), mais ce sont aussi les plus soucieux pour le climat", soutient toutefois une source à la Banque de France.
La BCE a par ailleurs déjà montré sa capacité à différencier les taux, notamment avec certains types de prêts lancés au milieu des années 2010. A l'époque, les banques qui prêtaient le plus au secteur privé (hors immobilier) bénéficiaient de taux d'intérêt plus favorables que les autres auprès de la BCE.
"On pourrait imaginer un mécanisme identique où, cette-fois ci, le critère ne serait plus le financement de prêts, mais un critère écologique", explique Eric Dor, directeur des études économiques à l'IESEG School of Management.
La banque qui prête le plus à des emprunteurs "verts" pourrait ainsi se financer à moindre coût auprès de la BCE qu'une banque qui prête beaucoup à des emprunteurs "bruns".
Mais à l'heure actuelle, l'Élysée met en garde contre une mise en place "de manière isolée" en Europe de ce type de mesure.
"Il faut que l'on fasse attention à ce que notre politique climatique ne soit pas contradictoire avec notre politique économique", tempère-t-on dans l'entourage du président, qui préfère pour l'instant convaincre les banques de développement afin de décourager les investissements dans le charbon de la part des pays émergents.
Source: www.linfodurable.fr