Cessons d’opposer les enjeux de la nature à ceux de l’économie
Aujourd’hui encore, le monde de la finance (publique et privée) accorde 35 fois plus de capitaux aux activités qui ont un impact négatif direct sur la nature. Pourtant, le fléchage des financements vers la nature est à la fois un impératif et un conditionnement vers un futur désirable pour nos économies.
7 000 milliards contre une nature sous-financée
Les chiffres sont éloquents. Chaque année, près de 7 000 milliards de dollars de flux financiers ont un impact négatif direct sur la nature versus 200 milliards de dollars attribués aux solutions qui lui sont favorables (Nature Based Solutions – NbS). Dans ce total, les flux financiers privés négatifs sont 140 fois plus importants que les investissements privés en faveur de la nature. Du côté public, les subventions nuisibles sont 10 fois plus importantes que les privées et ont augmenté de 55 % en une année.
En face, les NbS sont gravement sous-financés avec seulement un tiers des niveaux nécessaires pour atteindre les objectifs en matière de climat, de biodiversité et de dégradation des sols d’ici 2030, malgré une hausse de 11 % en un an. Si personne ne peut être qualifié de bon élève, les gouvernements contribuent tout de même à 82 % au financement pour la nature tandis que les acteurs privés représentent 18 % des flux, dont la moitié est acheminée par le biais de mécanismes de compensations.
Une fois ce constat établi, personne ne peut nier l’absolue nécessité d’inverser notre prisme économique. Il nous faut favoriser l’avènement de modèles économiques et financiers qui soient centrés sur la nature par défaut.
Si la biodiversité s’effondre, notre système économique aussi.
60 % du PIB mondial dépend, directement ou indirectement, de la nature
Dans un monde aux ressources limitées, on ne peut imaginer qu’une croissance illimitée soit possible, surtout lorsque l’on mesure que la nature impacte de façon directe ou indirecte 60 % du PIB mondial. Rediriger les flux financiers vers des actions et des solutions favorables à la nature est avant tout une question de bon sens, car tout ou presque dépend d’elle. Si la biodiversité s’effondre, notre système économique aussi.
Les services écosystémiques sont au premier rang des secteurs menacés car ils s’abreuvent directement de ce que nous procure la nature. L’agriculture, la filière bois, l’aquaculture ou la pêche professionnelle en sont directement dépendantes et représentent, rien qu’en France, plus d’1 million d’emplois. En 2016 déjà, on estimait que 80% des emplois français dépendaient directement ou indirectement de la biodiversité…
On oublie également que la nature n’est autre que le premier fournisseur du monde économique. Elle fournit 100 % des matières premières que nous transformons ensuite en mobilier, en textile, en carrosserie, en carburant…
Une autre manière de considérer la nature et l’économie comme un tout est de s’intéresser aux coûts engendrés par la dégradation du vivant. Selon un rapport WWF de 2020, il est estimé à 500 milliards de dollars par an d’ici 2050. A cette date, près de 10 000 milliards de dollars auront été perdus, soit l’équivalent des économies du Royaume-Uni, de la France, de l’Inde et du Brésil réunies. Cette évaluation prend en compte les coûts des catastrophes naturelles, des pénuries handicapants des secteurs économiques entiers, des filières à l’arrêt… sans compter les innombrables hausses des prix mondiaux et conséquences sociales qu’entrainera ce déclin économique.
Positionner la nature au cœur de nos logiques économiques et financières, c’est s’assurer une croissance soutenable. Aujourd’hui, nous suivons le modèle inverse dicté par une logique économique, qui nous contraint de trouver des alternatives ou d’abandonner certaines activités.
Compte tenu de son ruissellement vers l’ensemble des acteurs économiques et notamment privés, le point de départ devrait être « l’écologisation » du monde de la finance. C’est-à-dire un fléchage des investissements financiers vers des projets compatibles avec les limites planétaires, un système financier inclusif, qui soutient aussi les populations vulnérables face au changement climatique. Cependant, les entreprises ont elles aussi un rôle primordial à jouer, de même que les gouvernements par le biais des incitations et politiques publiques.
Malgré l’ampleur des enjeux, un « biais de proximité » semble toujours présent. Celui-ci fait référence à la tendance des individus à accorder plus d'importance, d'intérêt ou de valeur émotionnelle à des événements ou des situations se produisant physiquement près d'eux. Par conséquent, les événements distants sont minimisés et perçus comme moins urgents.
Heureusement (ou malheureusement), de plus en plus d’entreprises subissent directement les effets de la dégradation du vivant et ne sont plus sujettes à ce biais. En revanche, les acteurs économiques et financiers qui ont les capacités d’inverser notre modèle semblent encore éloignés de ces impacts réels. Mais pour combien de temps encore ?
Sources:
State of Finance for Nature – 2023
World Institute Forum – 2022
Par Pascal Asselin, cofondateur de Morfo, membre du mouvement Impact France.
Source: www.linfodurable.fr