Carmat continue de se battre pour ses coeurs artificiels
Un savant assemblage d'électronique, de silicone, de titane et de tissus de veau: la production de coeurs artificiels s'accélère dans le nouveau site de production de Carmat pour tenter de faire décoller des ventes décevantes, dix ans après la première implantation sur un patient.
A Bois-d’Arcy (Yvelines), des techniciens à l’allure de chirurgiens en pleine opération, masqués et vêtus de combinaisons bleues, s’affairent: il faut trois mois de travail et 200 pièces différentes pour confectionner un myocarde de 900 grammes.
La mise en service de ce second bâtiment permettra de produire 500 prothèses par an. Pour 2024, environ 100 sont prévues.
Une vingtaine de ces coeurs y sont stockés, prêts à être implantés à des patients souffrant d'insuffisance cardiaque terminale, dans l'attente d'un coeur humain disponible pour une transplantation.
Les patients souffrant de ce type de pathologie sont "condamnés dans les deux ans" si rien est fait, décrypte Guillaume Baudry, un cardiologue au CHRU de Nancy joint par l'AFP.
Peu de solutions s'offrent à eux: la greffe cardiaque accompagnée d'un traitement anti-rejet et les assistances comme le coeur Carmat ou les pompes, "qui ont tous deux leurs avantages et leurs inconvénients", souligne Florian Zores, un autre cardiologue à Strasbourg.
Commercialisé sous la marque Aeson, le dispositif Carmat comprend une prothèse reproduisant la forme et la fonction d'un coeur naturel et d'une tablette pour régler les paramètres.
– "Plus robuste" –
En dix ans, et après des hauts et de bas liés à des défaillances, l'appareil a évolué et subi des corrections.
Carmat avait notamment suspendu volontairement les implantations entre fin 2021 et octobre 2022 pour apporter des améliorations au dispositif à la suite de dysfonctionnements qui avaient coûté la vie à deux patients.
"On a rendu le produit beaucoup plus robuste et on comprend beaucoup mieux comment sélectionner et traiter le patient", affirme le directeur général de Carmat Stéphane Piat.
Depuis sa création en 2008, la société rêve d'un "coeur définitif", qui remplacerait le coeur malade. Mais ce n'est pas pour tout de suite.
A ce jour, 50 patients se sont fait poser le coeur artificiel dans huit pays et treize vivent avec le dispositif. Un patient l'a porté 25 mois, durée la plus longue enregistrée.
Les systèmes d'assistance mécanique sont "très sous-utilisés par la communauté cardiologique", "les cardiologues ont du mal à identifier les patients les plus sévères qui pourraient en bénéficier", observe Dr Baudry.
"Les nouvelles générations de machines ont réduit drastiquement le nombre de complications, les principales étant les saignements et les AVC", souligne-t-il. "Mais que ce soit Carmat ou le dispositif HeartMate 3 (NDLR: du fabricant Abott), les deux ont le problème d'avoir un câble qui sort à travers l'abdomen. Le patient est branché à des batteries qu'il faut recharger", ajoute l'expert.
– Besoins de financement –
Carmat vend son coeur à taille unique dans le cadre d'une étude clinique en France et à titre commercial principalement en Italie et en Allemagne.
Pour généraliser son utilisation, la société entend porter à 50 le nombre des hôpitaux formés aux implantations commerciales cette année, contre 33 actuellement dans une dizaine de pays.
Autre plan d'attaque: "organiser des présentations dans les congrès", "créer une communauté médicale autour de la thérapie" mais aussi développer le remboursement et aborder le Moyen-Orient, souligne Francesco Arecchi, directeur du développement du marché mondial.
L'entreprise d'environ 200 personnes devra aussi convaincre sur le plan financier: elle reste fragile et risque d'être à court d'argent fin janvier, espérant un possible report de remboursement d'un prêt.
Ses besoins de financement sont évalués à environ 50 millions d'euros jusqu'à fin 2024. Une nouvelle augmentation de capital est prévue.
Malgré un chiffre d'affaires de 2,8 millions d'euros, moins bon qu'escompté en 2023, la société reste optimiste en s'appuyant sur une reprise de l'activité fin 2023. Elle espère pour 2024 des ventes comprises entre 14 et 20 millions d'euros. A plus long terme, l'objectif est de produire 1.000 coeurs par an à partir de 2027, horizon fixé pour devenir rentable et lancer ses prothèses aux Etats-Unis.
Source: www.linfodurable.fr