Tourisme : rompre avec le modèle des excès
Surtourisme, surconcentration des flux, surconsommation des ressources : ces symptômes témoignent d’une crise systémique.
La récente décision de Christian Estrosi d’interdire les gros bateaux de croisière à Nice constitue un signal fort. Ce choix, à contre-courant des logiques court-termistes, ouvre une voie : celle d’un tourisme respectueux, recentré sur le long terme, qui cesse d’épuiser les territoires pour enrichir une poignée d’acteurs. Il est temps de passer d’un tourisme extractif à un tourisme régénératif.
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Ne plus célébrer la quantité, mais viser la qualité
Pendant des décennies, la course aux records a été la boussole du secteur. Plus de visiteurs, plus de nuitées, plus de recettes : un raisonnement linéaire qui a mené à l’impasse actuelle. À quoi bon accueillir près de 90 millions de visiteurs par an si la majorité d’entre eux ne fait qu’un passage éclair, concentré à Paris, et rapporte moins que les flux touristiques mieux répartis d’Espagne ou des États-Unis ?
Cetourisme « étape », où l’on consomme la France comme un produit standardisé, en 48 heures derrière les vitres d’un bus, ne profite ni à nos territoires, ni à notre économie locale. Au contraire, il épuise les centres-villes historiques et contribue à leur désertification : petits commerces fermés, habitat remplacé par des locations touristiques, patrimoine vidé de son sens.
L’avenir est ailleurs : il réside dans l’allongement des séjours, dans une redécouverte lente et immersive de nos régions. Ce changement de paradigme doit s’accompagner de mesures concrètes : dégressivité des taxes de séjour, modulation des tarifs pour inciter les visiteurs à explorer hors saison, ou encore politiques locales favorisant le tourisme rural et culturel.
La politique au service d’un nouvel équilibre
La puissance publique ne peut rester spectatrice. Des choix comme celui de Nice doivent devenir la norme, pas l’exception. Les croisières de masse, en particulier, symbolisent un modèle obsolète : ces navires colossaux, souvent surnommés « villes flottantes », rejettent des tonnes de polluants, abîment les écosystèmes marins et n’offrent que des retombées économiques limitées aux territoires qu’ils accostent.
La surreprésentation de Paris et de l’Île-de-France dans les campagnes promotionnelles nationales illustre une myopie persistante."
Au-delà des croisières, il est urgent dedéconcentrer l’attractivité touristique. La surreprésentation de Paris et de l’Île-de-France dans les campagnes promotionnelles nationales illustre une myopie persistante. Pourquoi ne pas inscrire nos régions comme des destinations à part entière, et non comme des annexes de la capitale ? Les Jeux Olympiques de 2024 auraient pu être une formidable opportunité pour redessiner cette carte. Au lieu de cela, la majorité des épreuves et des événements reste confinée à Paris, amplifiant une hypercentralisation déjà étouffante.
Répartir mieux, c’est également responsabiliser les territoires. Chaque commune, chaque région a un rôle à jouer pour réguler les flux, valoriser ses spécificités et préserver son patrimoine naturel.
Xavier Alberti©DR
La biodiversité : l’enjeu clé
Au cœur de cette transformation se trouve un impératif : protéger ce qui fait la richesse de notre pays. L’attractivité touristique repose sur des paysages et des écosystèmes uniques : des calanques aux falaises d’Étretat, des plages de la Côte d’Azur aux vignobles de Bourgogne. Mais combien de temps ces trésors résisteront-ils si nous continuons de les surexploiter ?
Le tourisme, s’il est repensé, peut devenir un levier puissant pour revitaliser nos territoires, préserver notre patrimoine et renforcer le lien entre les habitants et les visiteurs."
L’impact du tourisme de masse sur l’environnement est une bombe à retardement. Le recul de la biodiversité et le changement climatique ne sont pas de simples « effets collatéraux » ; ils sont au cœur de la viabilité même de l’activité touristique. Si les gorges du Verdon s’assèchent, si les falaises normandes s’effondrent, si les montagnes ne sont plus enneigées, il ne restera que des souvenirs pour nourrir les guides de voyage.
Un tourisme régénératif implique de placer la préservation au centre de toute stratégie. Limiter les impacts environnementaux des infrastructures, repenser les mobilités, soutenir les circuits courts et la transition écologique des acteurs touristiques : autant de leviers indispensables pour maintenir un équilibre entre l’homme et son environnement.
Faire du tourisme un levier de transformation
La pandémie a révélé uneprise de conscience collective : celle d’un besoin vital dereconnexion avec la nature et d’un tourisme plus respectueux, plus lent, plus humain. Ce moment de réflexion doit être le point de départ d’un nouveau modèle, fondé sur l’expérience, l’authenticité et la durabilité.
Changer de cap n’est pas seulement nécessaire ; c’est une formidable opportunité. Le tourisme, s’il est repensé, peut devenir un levier puissant pour revitaliser nos territoires, préserver notre patrimoine et renforcer le lien entre les habitants et les visiteurs. Mais pour cela, il faudra du courage : celui de tourner le dos à un modèle basé sur les excès et de construire un avenir où la croissance touristique n’est plus un fardeau, mais une richesse partagée.
Par Xavier Alberti, Président de Majorian
Source: www.linfodurable.fr