Plusieurs sinistrés climatiques, accompagnés par des associations, attaquent l’État en justice
Des citoyens directement touchés par les impacts du changement climatique un peu partout en France attaquent leur État sur les enjeux d’adaptation. Ceux-ci font face à différents problèmes, induits directement par le changement climatique : « maisons fissurées à cause du retrait-gonflement des argiles, problèmes d’accès à l’eau, canicules, inondations, pertes agricoles ».
Dans un communiqué, il est précisé que certains de ces citoyens cumulent les inégalités face aux impacts du changement climatique et sont d’autant plus impactés car en situation de handicap, atteints de maladies chroniques ou encore issus de quartiers populaires, de territoires ultra-marins ou des communautés des gens du voyage.
"Ces personnes, leurs associations et les organisations de l’Affaire du Siècle, ont décidé d’agir en engageant une action en justice contre l’Etat français qui ne les protège pas suffisamment contre ces risques climatiques, pour l’obliger à agir », est-il affirmé.
Dans un éditorial, les demandeurs déplorent le fait que les politiques environnementales soient attaquées partout dans le monde.
"LePacte vert européen, qui devait renforcer la transition écologique, est vidé de sa substance sous la pression des industriels et des conservateur·ices, ajoutent-ils. Aux États-Unis, Donald Trump démantèle les régulations climatiques et s’en prend aux scientifiques du climat. Ce recul généralisé ne fera qu’aggraver la crise et multipliera le nombre de personnes impactées par les catastrophes climatiques. En France aussi, l’écologie est reléguée au second plan et sacrifiée sur l’autel des arbitrages budgétaires à court terme. Pour les plus précaires, les plus vulnérables d’entre nous, l’injustice climatique frappe plus que jamais. »
Quelles bases juridiques ?
Cette action en justice est portée devant le Conseil d'État et ne vise pas, selon les sinistrés, à obtenir d’indemnisations personnelles mais à obliger l’Etat « à renforcer ses politiques d’adaptation et à prendre des mesures concrètes et efficaces pour protéger et soutenir toute la population face aux risques climatiques ».
"Elle repose sur un recours pour excès de pouvoir qui permet de contester la légalité d’un acte administratif, en l’occurrence le PNACC-3, jugé insuffisant", est-il précisé.`
"Le recours s’appuie notamment sur l’obligation générale d’adaptation au changement climatique à la charge de l’État, déduite des textes constitutionnels, en particulier la Charte de l’environnement, et confortée par le droit international, le droit du Conseil de l’Europe et le droit européen », souligne-t-on par ailleurs.
Qui sont-ils ?
Jérome Sergent©AffaireDuSiècle
Jérôme Sergent vit à Rumilly, dans le Pas-de-Calais. Il a 43 ans et est paysan. Il produit des Préparations naturelles peu préoccupantes, des alternatives aux produits phytosanitaires.
"Entre novembre 2023 et mars 2024, sa ferme a été inondée huit fois et a perdu 18 volailles et du matériel. Le fournil a été endommagé et les terrains sont restés sous l’eau pendant près de deux mois », est-il avancé.
À chaque fois qu’il pleut, c’est l’angoisse ! Puisque rien n’a changé, on se dit qu’on va à nouveau revivre ce cauchemar…"
–Jérôme Sergent
Marie Le Mélédo.©AffaireDuSiècle
Marie Le Mélédo vit aux Lilas, en Seine-Saint-Denis. Cette experte en agro-écologie de 37 ans a acheté son appartement en 2018. "Après deux années de travaux de remise à neuf, elle s’y installe en 2020, au moment même où la région connaît une sécheresse historique. À son retour de vacances d’été, elle découvre d’importantes fissures dans son logement neuf. Les portes et fenêtres neuves ne s’ouvrent plus. Rapidement, le bâtiment est classé en arrêté depéril ordinaire par le maire des Lilas. » Elle explique aujourd’hui ne plus pouvoir y habiter et devoir autofinancer son relogement à proximité depuis deux ans.
Jean-Raoul Plaussu-Monteil.©AffaireDuSiècle
Jean-Raoul Plaussu-Monteil, 45 ans, ingénieur, vit en Isère, à Villard-Bonnot. Il est épileptique. Il supporte de plus en plus mal la multiplication des vagues de chaleur. "Les canicules, du fait de l'altération du sommeil, de la déshydratation, de l'angoisse, et de l'hyponatrémie qu'elles génèrent, augmentent considérablement le risque de crise d'épilepsie", est-il indiqué. "Ces vagues de chaleur perturbent (aussi) l’absorption des médicaments antiépileptiques".
©AffaireDuSiècle
Salma Chaoui, 23 ans, est étudiante en dernière année de master économie. Aujourd'hui installée aux Lilas, elle habitait auparavant avec sa mère et son frère dans un logement social de Paris Habitat dont les appartements sont classés énergétiquement entre D et F. "Sa mère, âgée de 53 ans, est au chômage depuis trois ans et elle élève seule son petit frère de 12 ans, qui souffre d’une uvéite, une maladie chronique de l’œil, est-il précisé.
Salma et sa mère souffrent également de troubles du sommeil pour l’une et de douleurs articulaires liées à des affections chroniques pour l’autre. Leur appartement, un trois-pièces, souffre depuis leur arrivée en 2018 de problèmes d’humidité et de moisissures dus à une isolation insuffisante. La fragilité de leur logement augmente les risques d’infiltrations, d’incendies et d’inconfort thermique en période de canicule ou de grand froid. »
Les associations estiment que leur situation illustre comment les populations déjà vulnérables – en raison de leur situation économique, sociale et sanitaire – sont "les plus exposées aux effets négatifs du changement climatique".
Être pauvre à Mayotte, ce n’est pas seulement vivre sous le seuil de pauvreté comme 77 % de la population, c’est aussi travailler dur pour avoir les moyens d’acheter de l’eau potable… mais c’est surtout souffrir de la soif, parce que les rayons sont vides et que nos robinets sont à secs."
-Racha Mousdikoudine, représentante de Mayotte a Soif
Jean-Jacques-Bartholome.©AffaireDuSiècle
Jean-Jacques Bartholome, 68 ans, en situation de handicap moteur, a vécu plusieurs épisodes caniculaires particulièrement éprouvants à Grenoble, en Isère.
"En août 2023, lors d’une vague de chaleur, la température dépasse les 32°C dans le logement social de Jean-Jacques, mal isolé et inadapté à son handicap moteur qui l’oblige à se déplacer en fauteuil roulant. Il lui est alors impossible de fermer ses volets seul ou d’accéder à son balcon…"
Les autres demandeurs sont Mayotte A Soif (association engagée dans la lutte contre le manque d’accès à l’eau potable et la gestion de crise à Mayotte), Locataires Ensemble (fédération de syndicats de locataires dont les membres défendent notamment le droit à un logement sain), MIRAMAP (qui rassemble des paysans de toute la France, confrontés à des difficultés croissantes pour produire).
Mais aussi l'Association Urgence Maisons Fissurées (qui soutient les sinistrés dont les maisons sont endommagées par des fissures et qui se heurtent au refus de leur assurance ou à l’absence de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle), Ghett'up (association qui œuvre en faveur de la justice sociale pour les jeunes de quartiers populaires), Association Nationale des Gens du Voyage Citoyens (qui promeut et défend l’accès aux droits des voyageurs, particulièrement vulnérables face aux évènements climatiques extrêmes), OXFAM France, Notre Affaireà Tous et Greenpeace France.
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Les demandeurs précisent que ce recours se déroulera en plusieurs étapes et qu'il commence dès maintenant avec une demande préalable adressée à l’État, dans laquelle il est demandé au gouvernement "de réviser le 3e Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-3) et d’adopter tout un ensemble de mesures destinées à assurer, ou renforcer, l’adaptation de la France au changement climatique".
Le Conseil d’Etat sera saisi à l’expiration du délai légal de deux mois, sauf en cas de réponses positives aux demandes des sinistrés et des associations.
Source: www.linfodurable.fr