Pesticides : socialistes et ONG s’insurgent contre un décret accusé de fragiliser l’indépendance de l’Anses
"Passage en force inacceptable", "remise en cause de l'indépendance de l'Anses" : les députés socialistes et l'ONG Générations Futures ont dénoncé jeudi, dans des communiqués distincts, un décret portant sur l'autorisation des produits phytosanitaires et qui va, selon eux, « imposer des priorités » à l’agence sanitaire nationale.
Ce décret, paru jeudi au Journal officiel, « vise à préciser les modalités de traitement des demandes d’autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques par l’Anses afin de renforcer l’information et l’harmonisation des conditions de délivrance des moyens de protection des cultures ».
Il indique que le directeur général de l'Anses "tient compte, dans le calendrier d'examen des demandes d'autorisation de mise sur le marché (AMM) des produits phytopharmaceutiques" d'un arrêté de la ministre de l'Agriculture établissant "la liste des usages" de pesticides ayant pour objet de lutter contre des ravageurs de cultures.
Le texte précise qu'il s'agit d'organismes nuisibles "affectant de manière significative le potentiel de production agricole et alimentaire, et contre lesquels les moyens de lutte sont inexistants, insuffisants ou susceptibles de disparaître à brève échéance ».
"Usages prioritaires"
"Concrètement, le directeur général de l'Anses devra tenir compte d'un calendrier d'examen des demandes d'AMM des produits phytopharmaceutiques établi par le ministère de l'Agriculture et donc retarder le retrait de produits dont les dangers pour la santé humaine et environnementale sont avérés », affirme le groupe socialiste de l’Assemblée nationale.
"Il s'agit d'une mise sous tutelle de l'Anses après plusieurs mois de tentatives de déstabilisation », accuse-t-il.
L'association environnementale Générations Futures dénonce de son côté un "passage en force inacceptable" car, selon elle, "l'Anses devra tenir compte de cette liste d'usages prioritaires dans son calendrier d'examen des demandes d'autorisation, de modification ou de retrait des AMM".
Les dispositions prévues dans le décret nécessitent un examen attentif afin d'envisager les conséquences éventuelles qu'elles pourraient avoir pour l'Anses ou les autres acteurs concernés.
Sollicité par l'AFP, le ministère de l'Agriculture a indiqué que "jusqu'à présent, l'Anses traitait les demandes d'AMM par ordre d'arrivée et que l'établissement d'une liste d'usages prioritaires visait, sans porter préjudice aux enjeux sanitaires ou environnementaux, à proposer un calendrier de traitement des dossiers en tenant compte de la saisonnalité des menaces pesant sur les cultures ».
"L'Anses est complètement indépendante dans ses évaluations et dans son calendrier", a-t-on souligné au ministère.
Interrogée par l'AFP sur les conséquences de ce décret sur son fonctionnement, l'Anses indique pour sa part que "les dispositions prévues dans le décret nécessitent un examen attentif afin d’envisager les conséquences éventuelles qu’elles pourraient avoir pour l’Anses ou les autres acteurs concernés ».
Depuis 2015, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) est mandatée non seulement pourévaluer la dangerosité des pesticides, mais aussi pour autoriser ou non leur mise sur le marché.
Elle rend des centaines de décisions par an, en toute indépendance scientifique, tout en étant un établissement public sous tutelle de quatre ministères (Agriculture, Santé, Transition écologique, Travail).
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Certaines de ses décisions ont été remises en cause ces dernières années par le ministère de l’Agriculture, sous forte pression du premier syndicat agricole, la FNSEA.
Le texte initial de la loi dite Duplomb visant à lever les contraintes du métier d’agriculteur, adoptée mardi, prévoyait la possibilité pour le gouvernement d’imposer des « priorités » dans les travaux de l’agence sanitaire.
Les parlementaires avaient finalement reculé et évacué ces dispositions face aux protestations d'élus, d'ONG et de scientifiques dénonçant une atteinte à l’indépendance de l’Anses, dont le directeur général avait prévenu que toute mesure tentant de « contraindre les décisions » de l’agence entraînerait sa démission.
Le décret publié ce jeudi est, pour les socialistes, une "trahison des engagements pris par le gouvernement lors des débats sur la loi Duplomb ».
Avec AFP.
Source: www.linfodurable.fr