Mobilité verte : quand la transition redessine l’espace urbain
Comment lamobilité verte va-t-elle transformer la ville de demain ? Et quelles opportunités va-t-elle apporter ? Ce sont les questions qui ont animé les débats des participants du quatrième et dernier atelier du groupe de travail « Urbanisation – Un plan Marshall pour la ville du futur : vers un modèle urbain à faible émission de carbone », co-piloté par Edmond de Rothschild Asset Management.
Les participants ont d’abord dressé l’état des lieux de la transition et, pour eux, le constat est sans appel : le processus n’est pas linéaire. “L’état de la conversion vers l’électrique est multiple et dépend du mode de mobilité verte”, a ainsi affirmé Christophe Gurtner, PDG et fondateur de Forsee Power, entreprise spécialisée dans la construction de batteries pour les véhicules électriques.
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Une mobilité verte à plusieurs vitesses
Du côté des véhicules à deux roues, il a noté uneforte adoption du vélo à assistance électrique en milieu urbain, sur des distances pouvant aller jusqu’à 20 km, notamment en raison des contraintes de circulation dans les centres-villes. Une tendance qui empiète même de plus en plus sur le marché des scooters, qu’ils soient thermiques ou électriques. “Le passage du thermique à l’électrique engendre un doublement, voire un triplement du prix, forcément ça ne s’adresse plus à la même catégorie de population, a analysé Christophe Gurtner. Donc cette population qui souhaite abandonner le thermique se tourne largement vers le vélo à assistance électrique. Finalement, on assiste à un effondrement du scooter thermique et du scooter électrique”.
Pour les voitures particulières, la transition vers l’électrique est plus complexe, et le principal frein n'est pas le coût mais plutôt le poids de l'habitude. “Les difficultés à changer d’habitude sont liées à l’autonomie et à la recharge de la batterie, a poursuivi Christophe Gurtner. En zone urbaine et sur l’autoroute ça n’est pas un problème majeur, il y a de nombreuses bornes de recharge. Mais dans les petites villes et à la campagne, c’est un vrai sujet”.
Pour Jean-Philippe Desmartin, Directeur de l’Investissement Responsable chez Edmond de Rothschild Asset Management, la première vague d’acheteurs a atteint ses limites. “Au début il y a eu un côté ‘first mover’, et ce sont principalement les populations aisées qui se sont tournées vers les véhicules électriques, a-t-il expliqué. Cela est moins vrai aujourd’hui, il convient de franchir une nouvelle étape”.
Au début il y a eu un côté ‘first mover’, et ce sont principalement les populations aisées qui se sont tournées vers les véhicules électriques. Cela est moins vrai aujourd’hui, il convient de franchir une nouvelle étape."
-Jean-Philippe Desmartin, Directeur de l’Investissement Responsable chez Edmond de Rothschild Asset Management
Du côté des véhicules utilitaires urbains, comme les véhicules de livraison, la transition est en revanche plus rapide car ils fonctionnent sur des trajets généralement connus à l’avance et peuvent être rechargés la nuit.
Concernant les véhicules lourds, la situation est également nuancée. Si les camions, qu’ils soient urbains ou longue distance, peinent encore à se convertir, les transports publics – et notamment les bus – présentent de meilleurs résultats : selon Christophe Gurtner, près d’un tiers du parc français fonctionne avec des énergies décarbonées.
Adapter la ville et l’industrie aux nouvelles mobilités
Au-delà des spécificités liées aux différents types de flottes, le développement de la mobilité verte entraîne aussi un certain nombre de défis, comme la nécessité pour les villes de se transformer et de s’adapter. Et tout particulièrement les vieilles villes historiques, qui doivent faire avec les contraintes existantes. Dans tous les cas, pour Christophe Gurtner, l’adaptation doit être pensée de manière multimodale pour combiner vélos, tramways, trains et autres modes de transport.
L’autre défi à relever consiste à adapter des modèles industriels souvent en place depuis plus d’un siècle et conçus pour le thermique, ce qui demande du temps et des moyens. D’autant que l’industrie européenne a longtemps tenter de résister au changement et accuse aujourd’hui un important retard, notamment vis-à-vis de la Chine.
On manque d'investisseurs de long terme qui peuvent apporter au capital des entreprises pendant plusieurs années, a-t-il poursuivi. Les investisseurs ont des horizons de placement relativement courts, ils ne veulent pas d’un retour sur investissement au-delà de 5 ans.”
-Emmanuel Robinet, Portfolio manager chez CDC Croissance
Un constat partagé par Emmanuel Robinet, Portfolio manager chez CDC Croissance. Pour lui, si la pénétration des voitures électriques en Europe progresse, elle reste faible et plus lente que prévue. “De l’ordre de 12-13 % en 2024, a-t-il précisé. Des niveaux bien moindres que ce qu’on nous présentait initialement. Et en tant qu’investisseurs en bourse, force est de constater qu’il y a un manque criant d’opportunités d’investissement”.
Surtout, il observe un décalage entre l’horizon d'investissement des investisseurs et l'horizon de développement des entreprises qui participent à la transition. “On manque d'investisseurs de long terme qui peuvent apporter au capital des entreprises pendant plusieurs années, a-t-il poursuivi. Les investisseurs ont des horizons de placement relativement courts, ils ne veulent pas d’un retour sur investissement au-delà de 5 ans”.
Pour y remédier, la société de gestion milite pour recréer des produits d’épargne qui seraient spécifiquement dédiés à des horizons de placement de long terme. “Cela nous permettrait de collecter de l’argent avec un horizon de temps long et de réattirer des investisseurs de long terme, beaucoup plus en phase avec les besoins et les plans de développement de ces entreprises”.
Accompagner la sphère publique
Pour Edmond de Rothschild Asset Management, les investisseurs privés ont un rôle à majeur à jouer aux côtés de la sphère publique pour financer la transition énergétique et environnementale.
‘La responsabilité des investisseurs privés est d’autant plus importante que les marges de manœuvre du côté des finances publiques sont étroites dans de nombreux pays, en particulier en France, a expliqué Jean-Philippe Desmartin.
“Nous avons une approche holistique, a poursuivi Alexis Bossard, Gérant action internationales chez Edmond de Rothschild Asset Management. Nous voulons accompagner tout l’écosystème français et européen associé à la transition énergétique. C’est vrai que le contexte actuel n’est pas forcément favorable, mais l’équilibre de notre stratégie nous a permis d’avoir une présentabilité financière et d’apporter à nos clients les rendements espérés”.
Réinventer les usages de l’espace urbain
Malgré les freins et les défis à relever, le développement des mobilités décarbonées offre également de nouvelles perspectives d’investissement pour les acteurs financiers.
Par exemple, les espaces libérés par la réduction des places de stationnement en ville – parkings souterrains et extérieurs – représentent de nouveaux actifs très convoités.
“On peut imaginer que certains parkings souterrains vont être réhabilités pour permettre la recharge de véhicules comme des autobus ou des camions de livraison, a expliqué Alphonse Coulot, co-fondateur de l’Alliance pour la Décarbonation de la Route et enseignant à HEC. Mais il faut que tout cela soit très clair : chacun doit pouvoir identifier facilement et rapidement les lieux dédiés aux voitures et ceux qui ne le sont pas”.
Si des conflits d’usage peuvent exister entre la mobilité automobile et les autres formes de mobilité, des initiatives se développent. Alphonse Coulot a notamment cité l’exemple de villes italiennes qui se saisissent de ces nouveaux espaces. “Ces villes, typiquement latines et donc facilement obstruées, ont transformé des places de parkings en espaces commerciaux : terrasses de café, stands ponctuels, ou même, pour les établissements culturels notamment, des espaces dédiés aux files d’attente et aux vestiaires”. Une manière de mieux gérer l’espace et de désencombrer commerces et autres lieux accueillant du public.
En France, ces usages se limitent principalement aux cafés et à la restauration, a-t-il rappelé.
“Savoir à qui on donne l’espace”
Finalement, pour les participants, le développement de la mobilité durable en milieu urbain ne peut se faire qu’avec des infrastructures appropriées et suffisamment nombreuses, comme des bornes de recharge ou des parkings situés en périphérie des villes.
“L’exemple de Strasbourg est très intéressant, a indiqué Christophe Gurtner. La ville propose un système de tramways en étoile qui permet de rejoindre des parkings où les gens venant des villages alentours peuvent garer leur voiture. Et ça marche, d’autant que la ville est bien adaptée au vélo, au tramway et au bus”.
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Mais pour Alphonse Coulot, mettre desparcs relais à la sortie immédiate des villes – comme ce qui a été fait dans les années 2000 et 2010 – n’encourage pas les automobilistes qui viennent de loin à terminer leur trajet en transports en commun. “Il faut mettre les parcs relais loin des villes, a-t-il affirmé. Quand ils sont situés à une distance relativement proche du domicile, on est davantage incité à y laisser sa voiture et à poursuivre son trajet avec un autre mode de transport”.
Enfin, l’enseignant a rappelé que la plupart des solutions techniques étaient déjà présentes et que le défi était surtout politique. “Désormais, il faut seulement savoir à qui on donne l’espace”, a-t-il conclu.
Source: www.linfodurable.fr