L’usage de nos déjections comme engrais est interdit en agriculture biologique, mais autorisé en conventionnelle !
Selon le droit en vigueur, un déchet est une substance ou un objet dont on a l’intention ou l’obligation de se défaire. La loi liste et distingue les déchets dangereux et les non dangereux, les déchets alimentaires et les biodéchets… mais à aucun moment nos déjections ne sont mentionnées ! Comme si elles n’existaient pas, victimes d’une inexistence juridique à l’instar des vers de terre.
L’urine est le sujet du moment, c’était même celui del’émission La Terre au carré sur France Inter le 3 mars dernier: «L’urine, ce nouvel or jaune.» Nos urines comme engrais, l’alternative naturelle aux engrais de synthèse, car nos déjections contiennent les mêmes azote (N), phosphore (P) et potassium (K) que l’engrais phare de l’agriculture conventionnelle. Notre corps est une véritable usine à engrais agricoles : il en produit une demi-tonne par an, de quoi couvrir un quart des besoins de l’agriculture, nous tirons la chasse.
Pour comprendre cet argument du flou juridique, il faut remonter aux origines de l’agriculture biologique et quand elle reposait sur une approche naturelle sans aucun intrant. Depuis, certains produits et substances ont été autorisés, instaurant le principe que tout ce qui n'est pas expressément autorisé est strictement interdit.
« Ne tirons plus la chasse » (Ulmer) est l’alerte que j’ai lancée fin janvier sous la forme d’un livre. La dernière alerte remontait à 1866… Il est urgent de repenser la gestion de nos déjections afin de les valoriser en engrais, sauf que leur usage est strictement interdit en agriculture biologique!!! Par contre, leur valorisation est autorisée en agriculture conventionnelle, mais la procédure administrative est si contraignante qu’elle décourage les meilleures volontés. Pire, les agriculteurs n’ont même pas le droit d’épandre eux-mêmes nos déjections, ils sont obligés de faire appel à des sociétés agréées… Finalement, il est plus simple d’épandre du glyphosate que des engrais naturels.
Table des matières
Y a-t-il un flou juridique ?
Certains avancent qu'il existerait un flou juridique permettant l’usage de nos urines comme engrais en agriculture biologique. Or, un flou juridique supposerait une absence de consensus et des opinions divergentes sur un sujet non tranché juridiquement. Mais il n’en est rien : cette agriculture est strictement encadrée par la réglementation européenne qui interdit leur utilisation. Seuls les excréments d’animaux provenant d’élevages non industriels sont autorisés, et cette interdiction s’étend même aux matières compostées : « Produit obtenu à partir de déchets ménagers triés à la source, soumis à un compostage ou à une fermentation anaérobie en vue de la production de biogaz. Uniquement déchets ménagers végétaux et animaux. »
Pour comprendre cet argument du flou juridique, il faut remonter aux origines de l’agriculture biologique et quand elle reposait sur une approche naturelle sans aucun intrant. Depuis, certains produits et substances ont été autorisés, instaurant le principe que tout ce qui n’est pas expressément autorisé est strictement interdit.
Christophe Gatineau a publié « Nos déjections au secours des sols » (Ulmer, 2025).©DR
Nos déjections ne sont pas des déchets !
En effet, aucun texte réglementant les matières fertilisantes ne les mentionne, aucun ne les considère comme des déchets, des déchets recyclables ou des biodéchets. Il y a un vrai vide juridique concernant le statut de nos déjections. La seule exception concerne les boues d'épuration, lorsqu’elles sont mélangées à des contaminants chimiques tels que les lessives, les médicaments et les produits nettoyants, détergents ou désinfectants. L’épandage de ces boues dans les champs est interdit en agriculture biologique, mais autorisé en agriculture conventionnelle.
Tout ce qui vit a besoin de phosphore, tout ce qui vit en rejette, nos corps en rejettent et nous tirons la chasse en dépit de l’épuisement des dernières réserves mondiales. Et après ? Une fois que ces réserves seront épuisées, d’ici une à deux générations, nul ne sait. D’autant que le phosphore ne peut ni être créé ni synthétisé, contrairement à l’azote, car il provient exclusivement de roches sédimentaires.
L’avocate Mathilde Lacaze-Masmonteil, intervenante en droit des déchets et enseignante à l’Université Paris-Saclay, me rappellera dans un mail : « La directive sur les déchets exclut de son champ les matières fécales. Elles ne sont donc pas, juridiquement (et cela a son importance) considérées comme des déchets. En somme, aucun texte n’aborde le statut des excrétas d’origine humaine. Cette absence de reconnaissance des excrétas humains dans la réglementation déchets est toutefois à apprécier avec prudence, puisque sont considérés comme des déchets ceux « provenant des installations de gestion des déchets, des stations d’épuration des eaux usées hors site et de la préparation d’eau destinée à la consommation humaine et d’eau à usage industriel ». Cela pourrait signifier que lorsque (et uniquement dans ce cas) ces « produits humains » sont mélangés avec des eaux urbaines, ils sont soumis au statut de déchet. »
Le phosphore, une dépendance stratégique
Tout ce qui vit a besoin de phosphore, tout ce qui vit en rejette, nos corps en rejettent et nous tirons la chasse en dépit de l’épuisement des dernières réserves mondiales. Et après ? Une fois que ces réserves seront épuisées, d’ici une à deux générations, nul ne sait. D’autant que le phosphore ne peut ni être créé ni synthétisé, contrairement à l’azote, car il provient exclusivement de roches sédimentaires.
Quant à l’azote, notre corps en synthétise environ 12 g par jour, soit 4,38 kg par an. Il finit dans les stations d’épuration où la majeure partie est rejetée dans l’air afin de dépolluer l’eau. Ironiquement, les grandes puissances gazières telles que la Russie, les États-Unis, l’Égypte, l’Algérie et le Qatar « iront » ensuite le capturer dans l’atmosphère à l’aide de leur gaz naturel… pour nous le revendre ! Où est la logique ?
C’est pourquoi il est urgent de repenser la gestion de nos déjections ainsi que la législation qui en régit l’usage, car c’est notre souveraineté alimentaire qui est en jeu.
Par Christophe Gatineau, écrivain et agronome spécialisé dans l'étude des vers de terre, auteur de trois livres sur ces animaux, dont Éloge du ver de terre (Flammarion). Président de La Ligue de protection des vers de terre.
Source: www.linfodurable.fr