Le thème de la relocalisation s’impose dans le dialogue avec les entreprises
Giulia Culot et Tarek Issaoui, respectivement Gérante et Chef Economiste chez Sycomore AM, reviennent sur les raisons du choix de cette thématique et les enseignements à tirer des premiers travaux de réflexion.
Table des matières
Quels constats vous ont incités à vous saisir du thème de la relocalisation juste ?
Giulia Culot : Le thème de la relocalisation de la production, voire des fournisseurs, est devenu un sujet de discussion systématique dans le cadre de nos dialogues avec les entreprises sur leurs enjeux financiers. Elles se doivent désormais de prendre en compte cette question. Dans certains pays, comme la Chine et les Etats-Unis, produire localement ouvre droit à des subventions et peut permettre une plus grande accessibilité au marché domestique. La relocalisation est à appréhender dans ses différentes dimensions, dont la dimension sociale, la création d’emplois, la disponibilité de la main-d’œuvre, la gestion du capital humain ou encore les attentes des consommateurs. Outre la matérialité financière, nous cherchons ainsi à structurer le dialogue avec les entreprises sur ces aspects fondamentaux de la thématique sociale.
Tarek Issaoui : Nous investissons dans des entreprises, mais les règles du jeu économique ont évolué et l’influence des facteurs « top down » est grandissante. La question de la relocalisation, de savoir où une entreprise doit déployer son activité productive et avec quelles ressources, est à l’intersection des enjeux macro et micro. La crise du Covid a mis à jour des fragilités structurelles et conduit à s’interroger sur l’atteinte du pic de la mondialisation et sur son impact. En termes ESG, les aspects environnementaux de ces questions sont largement débattus et analysés. C’est relativement moins le cas pour les enjeux sociaux du phénomène, même s’ils sont intrinsèquement liés. Nous souhaitons dans ce contexte enrichir notre approche du pilier S, aux côtés du pilier E, dans notre dialogue avec les entreprises. La matérialité du pilier S est une évidence, mais elle peut gagner en richesse d’analyse.
La relocalisation est à appréhender dans ses différentes dimensions, dont la dimension sociale, la création d’emplois, la disponibilité de la main-d’œuvre, la gestion du capital humain ou encore les attentes des consommateurs."
En quoi le contexte est-il aujourd’hui plus favorable à des stratégies de relocalisation de la part des entreprises ?
Giulia Culot : Le facteur technologique est primordial. Il facilite l’automatisation des processus de production permettant ainsi d’envisager plus aisément des initiatives de relocalisation. Du fait de la baisse du coût du travail, qui a pourtant crû en Chine ces dernières années, et de la possibilité aussi de lancer d’une manière plus immédiate une chaîne de production, certains freins ont été levés. La recherche d’une meilleure résilience des chaînes de production plaide aussi en faveur d’un retour sur le territoire. En parallèle, les entreprises doivent répondre à une demande qui évolue : les consommateurs veulent des produits plus personnalisés, qui répondent à des objectifs de durabilité. Le concept de proximité a gagné en importance à leurs yeux.
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Quels freins demeurent et sont susceptibles de limiter ce mouvement ?
Tarek Issaoui : Cette perspective de relocalisation est une réalité non seulement en France mais dans l’ensemble de l’Europe. Cependant, elle générera des tensions, en matière d’accès aux ressources, aux métaux critiques par exemple, d’accès aussi à des sources d’énergie suffisamment bon marché. L’Europe a fait le pari du renouvelable, mais il est encore trop tôt pour savoir si, de ce point de vue, ce choix est le bon. Les écarts de productivité entre pays et la perte de compétences-clés peuvent également constituer des freins. Dupliquer les chaînes de production deviendra nécessaire, mais ce phénomène s’avérera inflationniste. En un sens, la mondialisation ne s’est pas interrompue, mais prend plutôt la forme d’une multipolarisation. Aucun pays n’aura accès à toutes les ressources nécessaires. Aussi, cette multipolarisation se traduira-t-elle par le renforcement des blocs, tels que les BRICS +, le « friendshoring » ou encore des alliances commerciales entre pays amis visant à sécuriser leurs approvisionnements.
Giulia Culot : Nous chercherons à identifier les facteurs de succès et d’échec, en termes de secteurs et de gouvernance, les bonnes pratiques et les stratégies les plus pertinentes. Nous observons ainsi, parmi les facteurs de réussite, l’importance du développement des compétences au sein de l’entreprise, ainsi que la capacité à nouer des partenariats solides en tissant des relations de confiance avec ses fournisseurs. Les acteurs de l’économie ont aussi besoin de visibilité politique, avec l’instauration d’un climat de confiance, afin de pouvoir s’engager sur la durée et innover. Or le rapport Draghi sur la compétitivité européenne, qui a mis l’accent sur plusieurs handicaps en Europe, relève un manque de coordination des administrations des différents pays de l’Union.
En tant qu’investisseurs, quelles sont, selon vous, les raisons qui poussent les entreprises à relocaliser certaines de leurs activités et quels seront vos points d’attention dans le cadre de votre dialogue avec elles ?
Tarek Issaoui : L’objectif de résilience est clé pour les entreprises européennes qui s’engagent dans une démarche de « reshoring », afin de relocaliser leur production à proximité des consommateurs locaux. Cependant, les enjeux sont différents selon les secteurs, les entreprises, grandes capitalisations ou midcaps, et les pays. L’Allemagne, historiquement bien plus industrielle et exportatrice que la France, joue la survie du modèle économique qui a fait son succès, quand l’Hexagone a besoin de rééquilibrer sa balance commerciale. De nouvelles formes de réindustrialisation, tels que les « gigafactories », peuvent par exemple permettre à la France de gagner des parts de marché. C’est toute la complexité de ce thème : les stratégies de relocalisation ne peuvent être dupliquées d’un pays à l’autre, d’un secteur à l’autre.
Giulia Culot : Nous identifions bien une matérialité ESG (environnementale, sociale, gouvernance), même si la durabilité est rarement un moteur prépondérant dans les décisions de relocalisation prises par les entreprises. C’est ainsi que la réduction de l’empreinte carbone induite par un moindre recours aux transports est une évidence. En matière extra-financière, nous serons aussi attentifs à la gestion du capital humain et à la qualité des relations avec les fournisseurs. Au cours des prochains mois, notre objectif, dans le cadre du parcours que nous initions au sein du Think Tank « 2030, Investir demain« , sera de se poser les bonnes questions, dans une perspective d’optimisation de notre démarche ISR et d’élaboration d’un guide d’engagement actionnarial.
En partenariat avec Sycomore AM.
Source: www.linfodurable.fr