La forêt vue par le peintre Théodore Rousseau, écologiste avant l’heure
Défenseur de la forêt de Fontainebleau, le peintre Théodore Rousseau (1812-1827) a également libéré l’art du paysage. L’exposition « Théodore Rousseau, La voix de la forêt« , qui ouvre ses portes le 5 mars prochain au Petit Palais, à Paris, rend hommage à cet artiste singulier dont l’œuvre est résolument ancrée du côté de la nature. À cette occasion, ID a interrogé Servane Dargnies-de Vitry, conservatrice peintures au musée d’Orsay et commissaire scientifique de cette rétrospective qui rassemble près d’une centaine de tableaux et dessins.
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À partir de quand Théodore Rousseau s'intéresse-t-il aux paysages ?
Théodore Rousseau, « Le Mont-Blanc, vu de la Faucille, effet de tempête », commencé en 1834, huile sur toile 146,5×242 cm. Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhague, Danemark
© Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhague.
Dès ses débuts, il se forme à la peinture de paysage. Il travaille dans l’atelier de Rémond, un académicien spécialiste du paysage historique, tout en prenant quelques cours de figures dans l’atelier de Guillon-Lethière. Toutefois, Rousseau va assez vite se rebeller contre cet enseignement académique où la nature est dépeinte uniquement comme un élément de décor pour des scènes humaines, mythologiques, historiques ou encore bibliques. À la fin des années 1820, il renonce à tenter d’obtenir le grand Prix de Rome du paysage, ce qui l’aurait mené à Rome, pour sillonner la France avec ses pinceaux, ce qui est assez exceptionnel à l’époque. Alors que les peintres ont plutôt l’habitude de voyager en Italie, Théodore Rousseau fait le choix de découvrir les paysages français, en commençant par ceux d’Auvergne. Il peint des esquisses en pleine nature puis retravaille ses œuvres en atelier. Éternel insatisfait, l’artiste passe des heures, parfois des jours, voire des années sur ses toiles.
Dans les années 1830, il découvre la forêt de Fontainebleau et décide de s’installer en 1847 à Barbizon, le village situé à la lisière de la forêt. Que vient-il y chercher ?
Étienne Carjat, « Portrait de Rousseau », vers 1865, photographie (épreuve sur papier albuminé à partir d’un négatif verre, contrecollée sur papier Canson), 10,5×6,5 cm. Musée d’Orsay, Paris, France.
© RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.
En plus d’être facile d’accès depuis Paris, et d’autant plus avec l’arrivée du train non loin en 1849, la forêt de Fontainebleau est très appréciée par les peintres car elle est considérée comme la plus antique de France. Les artistes mais aussi les écrivains apprécient son côté ancestral avec ses sites sauvages et vierges de toute intervention humaine. Ils la décrivent comme une forêt « primitive ». Elle est aussi perçue comme un refuge. Rousseau aime notamment s’enfoncer dans des parties qui semblent complètement inexplorées, pour trouver l’inspiration. Dans ses tableaux, le peintre témoigne d’une certaine nostalgie en essayant d’effacer les signes de la modernité et de l’industrialisation croissante à cette époque. Par ailleurs, il ne met aucun élément pittoresque ou récit humain. Il s’intéresse à la nature telle qu’elle est. C’est un tournant car jusqu’au XVIIIe siècle la forêt n’est pas considérée comme un sujet à part entière.
Qu’est-ce qui caractérise son trait à cette période ?
Rousseau est un peintre très expérimental. Ses techniques varient d’un jour à l’autre. Hormis à la fin de sa vie, où il flirte avec le pointillisme, il est difficile de parler de "périodes" pour cet artiste. Néanmoins, plusieurs tableaux sont caractéristiques de ses années passées à Fontainebleau, notamment son tableau intitulé Le chêne de Roche (1861). Dans cette œuvre, au lieu de choisir un point de vue surplombant sur la forêt, le peintre privilégie un cadrage resserré, presque photographique, depuis l’intérieur de la forêt. De nombreuses oeuvres s’intitulent d’ailleursIntérieur de forêt ou Sous-bois. Il fait entrer le spectateur dans cette forêt qu’il aime. Cela lui permet de se concentrer sur tous les détails du chêne et de peindre unfragment de nature. Rousseau va réaliser beaucoup de « portraits d’arbres » avec la volonté de les individualiser, comme s’ils étaient des êtres humains. Il dira d’ailleurs qu’il entendait la voix des arbres. Son regard est également particulièrement « proto-écologiste » dans la mesure où il peint des lieux qui sont menacés de disparition, ce dont il a parfaitement conscience.
Théodore Rousseau, « Le Chêne de Roche », 1860, huile sur bois, 88,9×116,8 cm. Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhague, Danemark.
© Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhague.
À partir de 1837, des coupes de vieux arbres ont lieu dans la forêt. Avec d’autres peintres, Rousseau va s’opposer à ce qu’il qualifie "condamnation à mort". Comment cet engagement transpire-t-il dans sa peinture ?
Cela est notamment visible dans son tableau intitulé Le Massacre des Innocents (1847), au travers duquel il s’en prend aux administrateurs de la forêt qui procèdent à des coupes de chênes ancestraux. Sur la toile, on peut distinguer des hommes qui tirent avec de grandes cordes pour faire tomber les arbres. A cette époque, ceux-ci sont abattus pour les besoins de l’industrialisation ou pour percer des sentiers en forêt. Les administrateurs de la forêt plantent massivement des pins forestiers car ils poussent plus vite et vont ainsi pouvoir servir pour l’industrialisation. Dès lors, les peintres, dont Rousseau, vont nourrir une détestation pour les pins. La légende raconte qu’à l’auberge Ganne, à Barbizon, on offrait le couvert aux artistes qui avaient arraché des jeunes pousses de ces essences. « Pain pour pin », disait-on.
Théodore Rousseau, « Le Massacre des Innocents », 1847, huile sur toile, 95 cm×146,5 cm. La Haye, Collection Mesdag.
© Collection Mesdag, La Haye
En 1852, Rousseau va également peindre Les Gorges d’Apremont (1852) par nostalgie anticipatoire des transformations que la forêt subit à cause de l’intervention humaine. Dans d’autres œuvres, l’artiste va aussi s’intéresser à des pratiques de pâturages en forêt qui sont en train de disparaître à cause de nouvelles interdictions.
Théodore Rousseau, « Les Gorges d’Apremont en forêt de Fontainebleau », après 1862, huile sur toile, 79×143 cm. Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhague.
© Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhague.
De quelle autre manière va-t-il s’engager ?
En 1852, Théodore Rousseau va prendre la plume avec son ami Alfred Sensier, critique et marchand. Ils vont écrire au comte de Morny, ministre de l’Intérieur de Napoléon III, pour demander qu’une partie de la forêt soit préservée et qu’elle devienne réserve naturelle, au nom de l’art. En 1853, une réserve est créée, sous le nom de « série artistique ». Elle devient alors la première réserve naturelle au monde. Après la mort de Rousseau, un Comité de protection artistique de la forêt est créé, en 1872, puis la première association des Amis de la forêt verra le jour, en 1907.
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En quoi Rousseau réinvente-t-il la relation de l’homme à la nature ?
Avant le XIXe siècle, on considérait que l’homme était séparé de la nature, une conception que l’essor des sciences de la vie au XIXe siècle a fait voler en éclat. Avec Rousseau, l’humain se mêle aux paysages ; il est souvent représenté en tout petit au milieu de l’immensité de la nature. Par son regard, son attention à la nature mais aussi sa connaissance du vivant, Rousseau propose une nouvelle vision. Celle-ci entre en contradiction avec la voix des exploitants qui détruisent la forêt pour l’industrie. Ce double mouvement trouve un écho encore aujourd’hui.
Des décryptages sur des sujets complexes, des entretiens pour mieux comprendre les nombreux enjeux liés à la transition écologique mais aussi des enquêtes, des portraits…
Autant de clés sur des thèmes variés (climat, biodiversité, finance durable, culture, sciences, politique…) qui doivent permettre au lecteur de mieux appréhender les défis présents et à venir, et donc de pouvoir agir.
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Source: www.linfodurable.fr