« Inclure la défense dans le champ de la finance durable c’est réduire à néant les efforts réalisés depuis des années »
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D'où vient la proposition d’inscrire le financement de la défense dans le cadre de la finance durable ?
Tout ça fait suite à une prise de parole de notre Président sur la nécessité d’assurer une autonomie stratégique en Europe, la question du financement arrive évidemment rapidement et une des pistes proposées notamment par le ministre des Armées est de s’appuyer sur l’épargne des Français. On a une loi qui passe fin 2024 et qui permet d’allouer une partie des Livrets A (hors logement social) vers le budget de la défense. Arrive ensuite une proposition de Rachid Temal, sénateur PS, qui propose d’assouplir les règles en la matière concernant l’investissement responsable « Beaucoup de fonds n’ont pas la possibilité d’investir dans la défense. Il y a là aussi un volant en la matière ». D’autres acteurs du privé ont proposé d’utiliser le levier de la finance durable pour soutenir la défense et l’armement.
Et enfin on se retrouve avec l’UE qui propose d’inclure l’industrie de la défense dans le champ d’application de la finance durable, notamment en modifiant la taxonomie verte (le référentiel des activités durables en Europe) afin d’intégrer les actifs de la défense comme « socialement durables ».
Vous précisez que l’ESG n’est pas incompatible avec des investissements dans la défense, mais que ce type d’analyse peut éviter des dérives ?
On remet un petit peu de contexte : l’analyse des critères ESG d’une entreprise est avant tout une analyse des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance. Cela doit s’appliquer à toutes les entreprises, peu importe le secteur. Pour une entreprise dans l’armement par exemple, cela doit permettre de prévenir des dérives en matière environnementale et en matière de gouvernance (controverses sur la corruption par exemple).
La finance durable reste l’action d’affecter des ressources à des besoins durables."
Pourquoi considérez-vous que l’inclusion de la défense dans le champ de la finance durable serait inutile et contre-productive ?
Cela revient à définir ce que doit être la finance durable et ce que veut dire « la défense », du moins ce qu’il y a derrière, c’est un travail délicat et une prise de position personnelle sur le sujet. La finance durable reste l’action d’affecter des ressources à des besoins durables. Elle doit donc répondre à des enjeux primordiaux qui nous affectent tous et toutes, parmi lesquels l’extinction du vivant, l’effondrement des ressources naturelles ou même encore le réchauffement climatique. La durabilité, rappelons-le, reste notre capacité à répondre à nos besoins sans compromettre la capacité de nos enfants et des futures générations à répondre aux leurs.
L’industrie de la défense, et plus précisément l’armement, a un impact environnemental désastreux entre pollution, déchets et empreinte carbone, elle accentue les tensions entre les nations et les peuples, elle alimente les conflits armés, elle utilise des ressources naturelles qui nous sont indispensables sans intégrer de régénération, … Comment cela peut-il être qualifié de « durable » ? On évoquera également le fait que cela viole les principes éthiques de la durabilité.
Sur un aspect règlementaire, il y a la notion "DNSH » (Do No Significant Harm), une activité n’est pas durable si elle a un impact positif sur un sujet mais en même négatif sur un autre. C’est clairement le cas avec le sujet de la défense, le renfort de la diplomatie par exemple a un impact positif, ce n’est pas le cas de l’armement on vient de la voir.
La finance durable, c’est une petite partie des encours et elle peine à imposer une image crédible auprès des investisseurs. Inclure la défense dans le champ de la finance durable c’est réduire à néant les efforts réalisés depuis des années et laisser la possibilité de faire passer dans la durabilité n’importe quel secteur lié à une priorité politique.
À lire : Financiers et industriels réunis à Bercy pour s'allier dans l'effort de défense
Pourtant une Europe de la défense puissante est aussi un pare-feu dans un contexte géopolitique inédit, ce n’est pas durable ?
Une Europe de la défense permet certainement un monde durable (ce qui est reconnu par l’ODD 16 et la charte des Nations Unies) et est nécessaire actuellement. Mais ne confondons pas nécessaire actuellement et durable. On ne peut pas imaginer que de se protéger des autres par la peur des représailles soit un comportement durable. C’est à l’opposé des principes de paix, de bienveillance et de coopération, qui sont soutenues par la finance durable et indispensable pour la survie de tous et toutes.
Rappelons également que le choix d’investir dans la défense et dans quel sous-secteur de la défense doit rester un choix individuel et reste lié à un concept de liberté. Pour cela il faut des produits clairs, isolés, non trompeurs pour l’épargnant.
"La finance durable bataille pour garder sa crédibilité dans un océan de greenwashing". C’est ce que vous avez déclaré dans une vidéo récente, la situation est si alarmante ?
Le sujet dont nous parlons en est un parfait exemple. Comment soigner les symptômes de ce qui ne va pas dans notre société actuelle, sans s’attaquer à la cause. Le sujet de la défense et de l’armement, c’est une réponse à un symptôme actuel. Si on ne s’attaque pas aux origines de ce symptôme, rien ne changera. L’enjeu de la finance durable c’est justement de s’attaquer aux causes et de permettre à tous et toutes, un monde vivable et surtout un monde souhaitable.
La réalité actuelle, reste que la durabilité est souvent mal comprise et utilisé à des fins commerciales avec des comportements opportunistes.
C’est alarmant parce qu’on parle de détourner un concept qui va nous permettre de prospérer en tant qu’espèce pour soutenir une compétition inutile à la surconsommation. Pour autant, on a la chance de connaître les actions à enclencher pour inverser cela, et c’est tout l’enjeu de la finance durable et de l’ensemble des acteurs financiers qui la soutiennent.
Source: www.linfodurable.fr