Droit de l’environnement : comment l’affaire A69 change la donne
La décision est "inédite", soulignent les anti-A69: "C'est la première fois qu'un tribunal annule un projet autoroutier pour des considérations environnementales", explique à l'AFP Marine Yzquierdo, avocate de l'association Notre Affaire à Tous.
Pour bâtir les 53 km d’autoroute entre Toulouse et Castres, le porteur de projet Atosca avait demandé – et obtenu en mars 2023 – une dérogation afin de pouvoir porter atteinte à « 157 spécimens d’espèces animales protégées », a détaillé le tribunal jeudi.
Pour pouvoir justifier de ces atteintes, il faut que "le projet répond(e) à une Raison impérative d'intérêt public majeur" (RIIPM), explique le tribunal. Or, conclut-il, "au vu des bénéfices très limités qu'auront ces projets pour le territoire et ses habitants, il n'est pas possible de déroger aux règles de protection de l'environnement et des espèces protégées".
"C'est un grand jour pour le droit environnemental", a salué dans un communiqué le collectif d'opposants à l'autoroute, selon lequel le jugement, qui "renvoie les porteurs du projet à la réalité du droit", "fera jurisprudence".
"Pas une surprise"
"Ce n'est "pas une surprise" sur le plan juridique, note Julien Bétaille, maître de conférences en droit de l'environnement à l'université Toulouse Capitole. "Quand on analyse l'évolution de la jurisprudence ces dernières années, c'est tout à fait logique qu'un jour ou l'autre cela touche un projet d'autoroute, notamment dans le contexte de changement climatique et d’érosion de la biodiversité », note-t-il.
Cette victoire "est bonne à prendre, surtout au regard de ce que pourrait devenir le droit de l'environnement dans le monde sans foi ni loi que prône aujourd'hui l'administration Trump", assure l'écologiste David Berrué.
Mais il ne s'agit pour l'instant que d'une décision de première instance et l’État a aussitôt annoncé son intention de faire appel. Même confirmée en appel, elle pourrait ensuite être contestée devant le Conseil d’État.
Pour aller plus loin :"Ecologie : gagner plus, dépenser moins"
Cela n'a pas empêché le gouvernement de monter au créneau. "L'écologie, ce n'est pas des interdictions tous azimuts", a lancé sur France Info la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher.
"Comme tout projet humain, lorsque vous construisez votre maison, vous portez atteinte à l'environnement« , a-t-elle dit, expliquant que le constructeur avait, « avec beaucoup de rigueur », prévu de « réduire et compenser » l’impact du projet.
"Quand on construit une maison sans autorisation, on s'expose à ce que la justice ordonne sa destruction", lui a indirectement répondu M. Berrué. "Les partisans de l'A69 ont parié sur la politique du fait accompli. Ils sont seuls responsables de ce gâchis. Leur fiasco doit inspirer une jurisprudence favorable à l’environnement », a-t-il poursuivi dans un communiqué.
La justice administrative n'avait jusqu'ici pas touché à de tels projets autoroutiers. Mais des décisions récentes auguraient d'une évolution en la matière. Plus petit, le contournement du village touristique de Beynac, en Dordogne, avait été définitivement retoqué en 2020 au titre, aussi, de l'absence de RIIPM.
Inquiétude pour les infrastructures
La montée en puissance de cette notion de RIIPM – introduite en 1992 par une directive européenne – inquiète les partisans de l'A69. "Cette décision du tribunal administratif questionne plus largement la capacité d’un pays comme la France à réaliser, à l’avenir, de grandes infrastructures », a ainsi déclaré Carole Delga, présidente (PS) de la région Occitanie.
"La loi ne définit pas cette raison impérative", a regretté le maire de Castres, Pascal Bugis, déplorant que "la porte" soit ainsi laissée "ouverte aux interprétations" des juges. "Il faut impérativement qu'enfin les parlementaires et le gouvernement fassent leur travail, et définissent cette notion de RIIMP, qui manque et ouvre une brèche béante dans le dispositif".
Dont acte. Le ministre Tabarot a indiqué que son gouvernement proposerait "des mesures de simplification pour éviter que de telles situations ne se reproduisent. Tout en préservant nos ambitions environnementales".
Avec AFP.
Source: www.linfodurable.fr