Chercheurs et agriculteurs, main dans la main pour développer l’agroforesterie
Impliquer les agriculteurs dans la recherche en agroforesterie, c'est le pari de Fabien Liagre, ancien chercheur à l'Inrae (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'environnement et l'alimentation, et co-fondateur d'Agroof, une société coopérative et participative dédiée à l'agroforesterie. A travers ce partenariat, il souhaite enrichir les connaissances en agroforesterie et faire émerger de nouvelles idées. Entretien.
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Quand avez-vous découvert que les agriculteurs pouvaient contribuer aux travaux de recherche ?
Lors d’un stage en Afrique, j’ai vu des connaissances sur l’arbre beaucoup plus poussées qu’en France et des résultats fascinants : l’herbe était deux fois plus verdoyante sous certains ligneux qu’à la lumière. En France, les anciennes générations savaient ce qu’elles faisaient et avaient encore des connaissances intéressantes mais ces savoirs traditionnels n’étaient pas du tout soutenus par la recherche.
Qu’est-ce qui explique selon vous ce manque de soutien ?
L’objectif de la recherche était de sensibiliser grâce à des statistiqueset pas forcément d’accompagner les agriculteurs sur des projets concrets. L’Inrae a réalisé un sondage pour prouver que les agriculteurs étaient prêts à se lancer. Cela a fait l’objet d’une publication mais derrière les céréaliers motivés n’ont pas été accompagnés. A partir de ce moment-là, j’ai voulu prendre le relais afin de ne pas laisser tomber ces exploitants. Nous les avons aidés à construire 40 parcelles entre 2000 et 2008 puis rapidement 100 parcelles. Contrairement aux premières recherches, l’idée n’était pas uniquement scientifique mais prenait en compte les besoins des agriculteurs.
En quoi ce réseau vous a-t-il aidé dans vos travaux de recherche ?
L'idée était de faire le lien entre la partie recherche et terrain. Très vite, j’ai remarqué que cela fonctionnait dans les deux sens : les agriculteurs ont des connaissances empiriques, observent des faits que l’on explique plus tard grâce aux travaux de recherche. L’innovation naît de cette rencontre. Grâce aux résultats sur le terrain, on peut également voir si un bienfait découvert par la recherche se retrouve chez la majorité des agriculteurs.
Le réseau de parcelles que vous avez créé permet-il aux agriculteurs de reproduire des projets similaires aux leurs ?
Même si nous n'avons pas encore atteint 1000 parcelles, nous avons de plus en plus de modèles de références que les agriculteurs peuvent imiter. Les éleveurs peuvent par exemple"copier" le projet d’un voisin qui a fonctionné ou du moins s’en inspirer pour avoir une plus grande garantie que son projet va être un succès. D’autant que l’effet de nombre crée un cercle vertueux.
Plus les agroforestiers sont nombreux, plus cette base de données grandit, ce qui rassure et motive d’autres agriculteurs qui voient que tout le monde y trouve son compte."
Vous jouez un rôle d’intermédiaire entre les agriculteurs. Est-ce qu’ils innovent également de leur côté et communiquent directement entre exploitants ?
Cet effet de nombre va aussi apporter des idées, certains agriculteurs sont très innovants, je suis toujours épaté de voir le nombre de bonnes idées. Il y a une vraie émulation entre exploitants notamment sur des réseaux sociaux, encore plus développés que Facebook ou WhatsApp, via lesquels ils peuvent se partager des données directement.
Echangez-vous régulièrement entre techniciens et spécialistes pour partager vos connaissances ?
C’est primordial, puisqu’un conseiller en agroforesterie doit avoir une vision agronomique, forestière et environnementaliste, tout en connaissant le système de l’agriculteur, comme le monde de la vigne si l’on travaille par exemple avec un viticulteur. On travaille souvent à plusieurs sur des ateliers de co-conception. Si on reprend l’exemple d’un vignoble, 12 à 15 techniciens spécialisés dans différents domaines (forestiers, viticole, biodiversité, l’étude des sols et des viticulteurs) vont visiter sur deux à trois journées l’exploitation, recueillir les objectifs des agriculteurs. Puis, ils vont se séparer en deux ou trois groupes afin de confronter leurs idées et de réaliser des projets plus complets.
Agroof forme des exploitants de tous horizons : vignes, élevages, maraichages, plante aromatiques…©FabienLiagre/agroof
Après trente années de recherche, quel bilan pouvez-vous dresser ?
Du point de vue des exploitants, globalement chacun y trouve son compte. Nous avons participé à 75 projets et je pense qu’on a travaillé sur tous les systèmes de production : plantes aromatiques, céréales, prairies, petits fruits.
Nous pouvons imaginer des systèmes agroforestiers adaptésà chaque système."
D’autant que la recherche, grâce aux drones, a estimé le gain de rentabilité, notamment à travers à l’effet brise-vent, entre 2 et 5 %. Il faut aouter à cela tous les services : bien-être animal, qualité de l’eau, du sol, lutte contre le réchauffement climatique, production de fruits et bois d’œuvre. Nous avons réussi à constater et expliquer ces bienfaits même si certains arguments sont plus mitigés et donc critiqués comme le stockage du carbone.
Malgré ces avancées, subsiste-t-il toujours des limites ?
Les arbres peuvent bloquer la lumière et ralentir la croissance des cultures. Le stockage du carbone dans le sol est également remis en question. Il n'y a pas de recette magique : il faut planter comme-ci comme-çà, chaque projet dépend d’énormément de facteurs qu’il faut connaître pour limiter ces effets négatifs.
Selon vous, le gouvernement a-t-il un rôle à jouer pour impliquer les agriculteurs dans la recherche et dans l’innovation ?
La réglementation est trop pesante pour les agriculteurs et entrave l’innovation. Les agriculteurs sont cinq fois moins nombreux qu’il y a cinquante ans et les réglementations ont grimpé crescendo. Ces directives et ces cahiers des charges sont plus souvent synonyme de tracas que de bons côtés d’un point de vue environnemental et économique.
Il faudrait changer de paradigme, faire confianceaux agriculteurs, entretenir une relation plutôt que de contraindre avec des réglementations ou de dire quoi faire avec des subventions."
Il faudrait alléger les dispositifs et valoriser les haies grâce à des filières locales, comme le bois énergie. Quand ces projets sont menés à l’échelle de communautés de commune avec des volumes limités, donc sans avoir besoin de changer de fournisseurs et de chercher du bois à l’autre bout de la France, la rentabilité est intéressante et il s’y plante souvent trois à quatre fois plus de haies que dans des projets avec des réglementations plus fortes. Pour moi, les pratiques réglementaires sont souvent des aveux d'échecs : ça diminue donc on va stopper et interdire. Mais c’est à contre-courant d’une discussion et du travail sur des dynamiques.
Globalement, constatez-vous une prise de conscience ?
On a de plus en plus de preuves que l’agroforesterie se développe : on forme de plus en plus d’agriculteurs, des jeunes mais aussi des exploitants qui constatent déjà des changements avec le dérèglement climatique. L’agroforesterie intéresse de plus en plus : le traitement des nitrates dans l’eau coûte entre 10 et 14 milliards d’euros à la France par an, en agroforesterie les nitrates sont naturellement traités par les arbres et ne coûte rien. Peut-être qu’à l’avenir planter des arbres deviendra obligatoire, en tout cas, nous, on s’adaptera.
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Source: www.linfodurable.fr