Tourisme : le temps des croisières, pas encore révolu
Sept piscines, neuf jacuzzis, 40 restaurants, une patinoire, un mini-golf, une vague artificielle…voilà quelques-unes des prestations proposées aux voyageurs sur l’Icon of the Seas – le plus grand paquebot jamais construit au monde qui a largué les amarres le 27 janvier à Miami, avec à bord 7 600 passagers. Urgence climatique ou non, la folie des grandeurs attire les foules et semblerait même avoir de beaux jours devant elle.
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— Royal Caribbean (@RoyalCaribbean) January 31, 2024
Après un ralentissement pendant la pandémie de Covid-19, letourisme de croisière repart aujourd’hui à la hausse. En 2023, plus de 31,5 millions de passagers ont pris part à une croisière dans le monde entier, contre 29,8 millions en 2019, selon l’association internationale des lignes de croisières (CLIA). En 2024, le nombre de croisiéristes pourrait atteindre 35,7 millions. Autrefois prisées par les retraités, les croisières séduisent désormais un public diversifié : des familles mais aussi de jeunes couples. « Depuis quinze ans, le tourisme de croisière est l’un des segments qui croît le plus dans le monde, notamment car la proposition de valeur ne cesse d’augmenter”, observe Louis Gendry, spécialiste du secteur touristique chez Roland Berger, un cabinet de conseil en stratégie.
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Une industrie particulièrement polluante
Au-delà des prestations de loisirs proposées, cette clientèle est conquise par le rapport qualité-prix. « Selon les compagnies et les services offerts dans les formules, le prix d’une semaine démarre à environ 800 euros par personne », indique l’expert. Il existe aussi des croisières plus onéreuses, portées par des compagnies spécialisées dans le luxe comme celle du Ponant. Mais ces acteurs restent minoritaires par rapport aux grands armateurs mondiaux, tels que Carnival Corporation, Royal Carribean Cruise ou MSC Croisières dont les navires circulent essentiellement dans les Caraïbes et en Méditerranée.
Si ces géants des mers sont plébiscités par les touristes, ils sont aussi dans le viseur des associations qui pointent du doigt leur empreinte environnementale. Et pour cause. Même si l’industrie des croisières représente moins de 1 % du trafic maritime mondial, elle reste particulièrement polluante. En 2022, les 218 navires situés en Europe ont par exemple émis autant d’oxydes de soufre (SOx) qu’un milliard de véhicules sur la même période, comme le rapporte une étude de la Fédération européenne pour le transport et l’environnement (Transport & Environment), publiée en juin 2023.
Conjointement, les émissions de SOx liées à ces bateaux ont augmenté de 9 %, celles d’oxyde d’azote (NOx) de 18 % et celles de particules fines (PM 2.5) de 25 %. La France n’est pas épargnée. D’après cette même étude, Marseille figure parmi les 30 ports les plus pollués par les bateaux de croisière en Europe. Dans la cité phocéenne, "les 75 bateaux de croisière qui ont accosté en 2022 ont émis deux fois plus de SOx que l’ensemble des voitures immatriculées dans les villes portuaires", note l'ONG Transport & Environment.
Entre démesure et quête de durabilité
Du côté des émissions de méthane – un gaz à effet de serre responsable du dérèglement climatique, celles liées aux bateaux de croisière en Europe ont été multipliées par cinq, entre 2019 et 2022. De quoi pousser les compagnies à prendre davantage en compte les enjeux écologiques.
Les compagnies de croisière n’ont pas attendu les crises climatiques des dernières années pour prendre la mesure du réchauffement de la planète et ses conséquences pour le vivant. C’est la raison pour laquelle les armateurs investissent des milliards d’euros chaque année pour développer des flottes qui réduisent considérablement leur impact environnemental", souligne Marie-Caroline Laurent, directrice générale pour l'Europe de la CLIA.
En tout, ce sont 40 milliards qui seront investis en Europe ces cinq prochaines années dans la construction de nouveaux navires "plus vertueux" sur le plan environnemental. "L’activité de croisière est à cet égard une chance pour l’Europe qui, on l’oublie souvent, jouit d’un leadership mondial en matière de construction navale. En effet, 80 % des carnets de commande des chantiers européens proviennent des compagnies de croisière. Il faut également rappeler que les innovations environnementales de pointe développées pour cette activité ont ensuite des répercutions sur l’ensemble de la flotte maritime », abonde la directrice.
Depuis quelques années, les armateurs oeuvrent sur plusieurs chantiers. "Sur les nouveaux bateaux, un travail a été mené sur la question de la gestion des eaux usées ou encore l'électrification des navires à quai ce qui permet de couper les moteurs dans les ports”, détaille Louis Gendry. Un bon moyen pour réduire la pollution atmosphérique et sonore, et qui devrait davantage se développer à l'avenir. Adoptée en juillet dernier, une nouvelleréglementation européenne impose le branchement des bateaux à quai d’ici 2030.
Parmi les autres solutions mises sur la table, le choix du GNL (gaz naturel liquéfié) pour remplacer le fioul. Dans son rapport développement durable de 2022, le président exécutif de MSC Croisières, PierFrancesco Vago, explique avoir privilégié ce carburant pour le MSC World Europe, inauguré en décembre 2022. Présenté comme « le carburant marin le plus propre actuellement disponible à grande échelle », le GNL doit permettre de faire progresser le groupe vers son objectif de « zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050 ».
Une vague de contestations
Bien que cette énergie permette de réduire les polluants dans l’air, comme les oxydes de soufre, les particules ou les oxydes d’azote, son action reste toutefois relative sur les émissions globales de CO2. "Le GNL fossile permet de réaliser une réduction de 25 % des émissions de carbone par rapport au fuel lourd et au diesel marin, mais seulement 20 % de réduction des émissions globales de gaz à effet de serre, en raison des fuites de méthane qui ne sont pas entièrement brûlées pendant le processus de combustion”, admet MSC Croisières. Un coup dur pour le climat. Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), le méthane aurait un pouvoir réchauffant 80 fois supérieur au CO2 sur une période de vingt ans.
Pour pallier ce problème, MSC Croisières indique, dans son rapport de 2022, avoir lancé le projet "Green ray" avec le soutien financier de l’Union européenne. Objectif : développer des techniques pour "prévenir les fuites de méthane des moteurs alimentés au GNL à bord de navires existants et de nouveaux navires”. L'armateur s’engage également à "s’orienter vers le bioGNL dès qu’il sera disponible". Pour les compagnies, "l'enjeu est de développer des carburants qui réduisent au maximum les gaz à effet de serre que ce soit en utilisant des propulsions véliques, à hydrogène ou au méthanol ce qui est déjà en exploitation sur certains navires. Les technologies sont là, l’enjeu est donc de les passer le plus rapidement possible à l’échelle ce qui nécessite l’engagement de l’ensemble de la chaine de valeur", relève Marie-Caroline Laurent.
Des avancées qui peinent à convaincre les associations. « La croisière verte n’existera jamais”, déplore Sophie, militante au sein du collectif marseillais, Stop Croisières, avant d’ajouter : « pour limiter l’impact de ces paquebots, il faudrait réduire le nombre de passagers, la vitesse des bateaux. Chez Stop Croisières, nous allons encore plus loin et revendiquons l’arrêt des croisières car il s’agit d’une activité touristique polluante et substituable. »
Une vision partagée par plusieurs villes européennes qui, sous la pression des opposants et des pétitions, ont décidé d'interdire aux bateaux de croisière d'accoster dans leur port, à l'image de Venise en Italie, Amsterdam aux Pays-Bas ou encore Santorin en Grèce. Difficile de savoir si une telle mesure freinera leur élan. Une chose est néanmoins sûre. Celle-ci marque une nouvelle étape dans la bataille contre le tourisme de masse.
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Source: www.linfodurable.fr