« Il manque un travail de restitution de l’engagement des sociétés de gestion »
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L’engagement actionnarial est une pratique qui s’est beaucoup développée ces dernières années. Vos clients ont-ils une bonne perception de ce que cette notion recouvre ?
François-Xavier Sœur. Nos clients sont en général familiers avec la notion de vote en assemblée générale, qui est le moment le plus médiatisé de l’engagement. Ce que nous leur expliquons, c’est que l’engagement actionnarial va beaucoup plus loin que ça: il s’agit aussi de dialoguer avec les sociétés, de suivre les stratégies des entreprises, de coopérer avec d’autres actionnaires…
Anne Delaroche. En effet, l’engagement actionnarial englobe de nombreuses actions. Si les particuliers ne sont pas toujours conscients de celles-ci, c’est parce que ces pratiques restent le fait de professionnels. Pour que les épargnants finaux soient de véritables parties prenantes, il faudrait que nous ayons d’autres outils, ou qu’ils soient mieux utilisés, dans le cas par exemple du questionnaire d’évaluation des préférences en matière de durabilité.
Comment ce questionnaire pourrait-il être un levier d’engagement ?
Anne Delaroche. Le questionnaire est utile mais pas utilisé. Nos clients le remplissent, mais leurs préférences ne sont pas prises en compte sur l’ensemble de la chaîne d’investissement. Les épargnants finaux ne peuvent pas pratiquer directement l’engagement. Les questionnaires sont collectés majoritairement par la société Harvest/O2S, mais malheureusement ces données ne sont pas utilisées dans cette optique. Pourtant, elles pourraient être anonymisées et devenir un instrument de communication entre épargnants finaux et sociétés de gestion en passant par les groupements de CGP et autres autorités de tutelle. Et cette logique va dans les deux sens: aujourd’hui, nous n’avons pratiquement pas de restitution des sociétés de gestion, nous ne savons pas avec quelle entreprise elles ont dialogué, sur quel sujet, etc. C’est cette restitution qui manque et qui intéresserait énormément nos clients.
François-Xavier Soeur. Je suis entièrement d’accord, il manque un travail de restitution. L’absence de standardisation du reporting et de mesurabilité de l’efficacité du dialogue pose aussi problème dans nos échanges avec nos clients. Aujourd’hui, j’utilise les pratiques de vote pour expliquer à mes clients les différentes politiques des sociétés de gestion, et leur montrer en quoi elles sont en accord avec leurs préférences, mais nous pourrions faire mieux, aller plus loin.
Anne Delaroche. Côté CGP, ce manque de restitution représente un risque : nous ne pouvons pas prouver que l’investissement réalisé par nos clients améliore les différentes incidences négatives (PAI – Principal Adverse Impact) abordées dans le questionnaire. Cela peut donc entraîner un risque légal de défaut de conseil, ou a minima une frustration, voire une perte de confiance des clients.
Pour que les épargnants finaux soient de véritables parties prenantes, il faudrait que nous ayons d’autres outils, ou qu’ils soient mieux utilisés, dans le cas par exemple du questionnaire d’évaluation des préférences en matière de durabilité."
Certains produits sont-ils plus susceptibles que d’autres de provoquer une discussion sur l’engagement, comme les produits labellisés ISR ?
Anne Delaroche. Le label rassure les clients, mais il ne règle pas les problèmes évoqués précédemment. Nous n’avons pas forcément une meilleure restitution de l’engagement sur les produits labellisés, donc nous ne pouvons pas bien informer nos clients. Je ne suis pas non plus convaincue par la pertinence de l’exclusion de secteurs d’activités entiers. Pour moi, l’exclusion revient, à terme, à laisser la gouvernance des entreprises à d’autres acteurs, souvent non Européens, qui n’auront pas forcément une approche durable.
François-Xavier Sœur. Je pense que ces exclusions sont une bonne chose, parce que c’est un label grand public, et ne pas exclure certains secteurs pour un label durable pourrait créer de la confusion. En tant que CGP, nous n’avons pas forcément besoin du label, nous avons nos propres recherches et nos propres indicateurs. Ceci dit, je pratique aussi l’exclusion avec mes clients: ce n’est pas pensable pour moi d’avoir du pétrole dans mes allocations.
En tant que CGP, les politiques d’engagement sont-elles un argument pour apaiser d’éventuelles craintes, notamment de greenwashing ?
François-Xavier Sœur. Pour lutter contre le greenwashing, il nous faut être capable de présenter des preuves concrètes à nos clients. Or, toutes les publications se ressemblent, donc nous sommes obligés de nous fier à l’ADN des sociétés de gestion avec lesquelles nous travaillons. Quelles sont leurs valeurs ? Qui sont leurs actionnaires ? Depuis combien de temps sont-elles engagées? Nous regardons tous ces critères. Nous parlons souvent de sélectionneurs de fonds dans notre métier, mais je ne vois pas ma profession comme ça: nous sommes plutôt des sélectionneurs de sociétés de gestion.
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Source: www.linfodurable.fr