Fragilisé par Orpea et l’inflation, le secteur des Ehpad privés en convalescence
Un modèle économique fragilisé, des investisseurs frileux, un manque d'attractivité du métier persistant: deux ans après le scandale Orpea, le secteur des Ehpad privés lucratifs est, en dépit d'une timide reprise, toujours en convalescence.
« L’activité repart donc on est moins pessimiste » mais « il reste des difficultés en terme de ressources humaines et l’inflation continue de peser », résume auprès de l’AFP Jean-Christophe Amarantinis, président du Synerpa, le principal syndicat des Ehpad privés.
"Les banquiers sont encore sur une image assez négative sur ce type d'établissement, donc c'est difficile de lever des emprunts bancaires et d'être accompagnés par des investisseurs", ajoute-t-il.
En relative bonne santé jusqu'en 2020, les Ehpad (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) privés ont été ébranlés par le Covid-19 puis par le scandale Orpea qui a éclaté en janvier 2022 avec la publication d'un livre-enquête révélant des cas de maltraitances et de malversations financières.
Ces révélations, qui ont eu l'effet d'un électrochoc, ont entamé la confiance des familles et des résidents, déjà traumatisés par le strict confinement imposé lors du Covid-19.
Le modèle économique, qui générait jusque-là de la rentabilité à même de séduire les investisseurs, semble quant à lui avoir atteint ses limites – les recettes ne compensant plus les dépenses qui s'envolent notamment sous l'effet de l'inflation.
Le secteur, qui représente 23% des 7.500 Ehpad de France, "est à l'asphyxie", juge Dominique Chave, secrétaire général de l'Union fédérale de la santé privée CGT. "Le scandale Orpea a fait qu'un certain nombre de familles ont retardé l'arrivée des résidents dans les structures".
"Les chambres ne se remplissent pas ou plus lentement, les gens ont peur, il y a une défiance qui persiste", renchérit Fabien Hallet, secrétaire fédéral CFDT santé-sociaux.
Résultat, les fonds de pension et autres actionnaires qui étaient très présents dans le secteur marchand se montrent plus frileux.
– Effet ciseau négatif-
Fortement ébranlé par le scandale, Orpea est passé en décembre sous le contrôle d'un groupement mené par la Caisse des dépôts, bras financier de l'Etat, qui doit l'aider à retrouver l'équilibre.
Autre poids lourd du secteur, Clariane (ex-Korian) a annoncé en novembre un plan de refinancement de 1,5 milliard d'euros pour faire face à des difficultés financières et éviter le défaut de paiement dans les prochains mois.
Dans ce tableau assez sombre, le président du Synerpa veut toutefois voir dans la récente hausse de trois points du taux d'occupation un signe "encourageant", après une forte baisse constatée ces dernières années.
Mais la question cruciale du recrutement est loin d'être réglée et l'"effet ciseau" – les dépenses ont augmenté beaucoup plus rapidement que les tarifs sous l'effet de l'inflation – est quant à lui toujours négatif, pointe Jean-Christophe Amarantinis.
Au-delà de la question financière, plusieurs groupes privés ont été visés ces derniers mois par des accusations de négligences ou de maltraitances.
Trois Ehpad du groupe Bridge dans le Haut-Rhin ont été placés sous administration provisoire après des inspections menées par l'Agence régionale de santé (ARS) et le conseil départemental y a révélé des "dysfonctionnements" mettant "en danger" les résidents.
En Gironde, une enquête a été ouverte pour "violences habituelles sur personne vulnérable", selon le parquet de Bordeaux, après une plainte visant l'établissement du groupe Emera "Douceur de France", à Gradignan.
Toujours dans le Sud, la justice enquête sur d'éventuels actes de maltraitance à l'égard de personnes âgées dans un Ehpad du groupe privé DomusVi à Toulouse. Le groupe Medicharme fait lui l'objet de deux enquêtes administratives sur ses "pratiques commerciales" et sur les "modalités de signalement" d'incidents.
"Comment est-ce encore possible après Orpea ?", s'indigne Claudette Brialix, présidente de la Fédération nationale des associations de personnes âgées en établissement et de leurs familles.
"Ce sont des entreprises qui n'ont comme objectif que le profit et qui encadrent à l'extrême les dirigeants de leurs établissements, sur le plan budgétaire et managérial, avec une incidence sur la vie quotidienne des résidents", estime-t-elle.
Impossible pour autant "de se passer" du privé lucratif, selon Fabien Hallet. "Il faut bien mettre nos personnes âgées quelque part, et à l'heure actuelle ni l'associatif privé ni le public ne sont en mesure de le faire".
Source: www.linfodurable.fr