Biodiversité : des indicateurs et des outils fiables pour localiser les impacts
Après un premier atelier destiné à poser le sujet, le deuxième atelier du Groupe de travail consacré à la Biodiversité, organisé chez Candriam, a réuni plusieurs experts du domaine afin de répondre à une question complexe : comment évaluer efficacement l’impact et la dépendance des actifs financiers envers la biodiversité en tenant compte de leur localisation ? Entre outils cartographiques, données locales, méthodologies globales et défis liés à la diversité des indicateurs, les participants ont partagé leurs expériences, souligné les limites actuelles et envisagé des pistes pour une intégration durable des enjeux de biodiversité.
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Le rôle central de la localisation et des risques associés
Elouan Heurard, analyste ESG spécialisé en Biodiversité chez Candriam, a introduit l’atelier en mettant en avant l’exemple de la dépendance à l’eau, un enjeu clé dans des secteurs comme celui des utilities. « Les sites de production électrique dépendent fortement de l’eau, et la hausse prévisionnelle de la consommation d’eau dans les prochaines années pourrait exacerber les tensions », explique-t-il. Des projections du World Resources Institute montrent que des zones comme l’Espagne, déjà confrontées à un stress hydrique croissant, verront leurs ressources diminuer encore davantage d’ici 2050. Ces risques physiques, liés à l’absence d’eau, nécessitent une analyse combinée des données géographiques et économiques des pays concernés.
Les intervenants ont également insisté sur la dimension locale dans l’évaluation des risques biodiversité. « Chaque pays a ses propres caractéristiques et ses propres vulnérabilités. Le cas d’une mine de cuivre au Panama, en est un exemple frappant : une mobilisation populaire a conduit à la perte de licence d’exploitation pour l’entreprise exploitante, entraînant une chute massive de leur valeur boursière », ont-ils illustré.
Pour éviter ces scénarios, l’identification des zones protégées, des écosystèmes fragiles et des populations locales impactées est essentielle. Yassir Khabbach, Directeur de la recherche chez Iceberg Data Lab et nouvel intervenant au sein de l'atelier, précise que leur modèle inclut des cartes précises issues de Natura 2000, Unesco World Heritage et Ramsar et que des développements futurs visent à inclure IBAT (Integrated Biodiversity Assessment Tool). « Cela nous permet de positionner chaque actif par rapport à des zones sensibles, comme les océans, les zones désertiques ou les espaces protégés », explique-t-il.
Une pluralité d’indicateurs pour une approche complète
L’un des points de consensus de l’atelier est que la biodiversité ne peut être réduite à un seul indicateur. "La biodiversité est un problème complexe", souligne Alix Chosson, analyste ESG spécialisée en Climat et Environnement chez Candriam. "Nous devons garder cette complexité qui fait la richesse de l’analyse, tout en rendant nos conclusions accessibles aux investisseurs." Julie Raynaud, consultante indépendante en finance durable, abonde dans ce sens : "L’idée qu’un indicateur unique pourrait suffire est une illusion. Il est normal que plusieurs modèles coexistent, chacun apportant une vision complémentaire."
Parmi les outils évoqués, certains sont utilisés pour mesurer les dépendances physiques, comme le stress hydrique ou la proximité avec des zones protégées. D’autres, comme le modèle Globio, permettent d’évaluer les impacts environnementaux à l’échelle globale. A ce sujet, Yassir Khabbach note que « tout l’objectif dorénavant est de pouvoir à terme modéliser des impacts environnementaux à l’échelle locale, et nous amène donc à explorer l’interopérabilité entre le modèle Globio et d’autres modèles qui utilisent des données géospatiales (comme le modèle InVest) qui peuvent venir l’enrichir ».
"En comparant l’exposition d’une entreprise à ces enjeux avec ses pratiques de gestion, nous pouvons anticiper les risques financiers."
Candriam, de son côté, a mis en place une méthodologie basée sur neuf thématiques, dont l’eau, les espèces en danger et la pollution. Ces thématiques permettent de croiser les enjeux biodiversité avec la gestion des entreprises, pour évaluer leur durabilité. "En comparant l’exposition d’une entreprise à ces enjeux avec ses pratiques de gestion, nous pouvons anticiper les risques financiers", explique Alix Chosson.
Les limites et biais des modèles actuels
Si les modèles et outils se multiplient, leur utilisation pose également des questions éthiques et méthodologiques. Florent Rebatel, analyste ESG – Environnement/Biodiversité chez CDC, met en garde contre le manque de clarté : "Nous devons être clairs sur ce que nous mesurons et ce que nous ne mesurons pas. Les données actuelles disponibles sur le marché couvrent une fraction de ce que nous espérons traiter à l’avenir."
Un autre défi réside dans la diversité des unités de mesure, comme le MSA (Mean Species Abundance) ou le PDF (Potentially Disappeared Fraction). Ces indicateurs, bien qu’efficaces pour certains aspects, ne sont pas toujours compatibles. Yassir Khabbach souligne: » Plus on dilue le message, plus il devient difficile de se l’approprier pour construire une stratégie long terme. C’est la raison pour laquelle Iceberg Data Lab calcule les impacts environnementaux en utilisant une unité unique qui est le MSA ‘Mean Species Abundance’ afin de s’aligner avec la Convention sur la diversité biologique (CBD), les Perspectives mondiales de la diversité biologique (GBO) mais également avec les dernières recherches et publications scientifiques. »
La contextualisation des impacts biodiversité est une autre problématique. "Une donnée ESG brute n’a aucune valeur sans contexte", rappelle Alix Chosson. "Si une entreprise souhaite vraiment comprendre ses risques, elle doit approfondir son analyse au-delà des indicateurs standards."
Vers une meilleure intégration des risques biodiversité
Pour améliorer l’évaluation des impacts et dépendances, plusieurs pistes ont été envisagées. Une évaluation complète de ces enjeux ne peut se faire qu'avec une approche double matérialité, qui considère à la fois les impacts qu’un acteur économique a sur les enjeux de durabilité et les risques que ces enjeux de durabilité font peser sur ses activités. « Les deux volets de la double matérialité sont liés, car le plus on a d’impacts sur son environnement, le plus on sera susceptible de faire face à des risques (stratégique, opérationnel, de réputation) qui pourront se traduire en impact financier », explique Alix Chosson.
La restauration et la compensation sont également des sujets cruciaux. Florent Rebatel propose de s’inspirer des recommandations de l’ADEME sur la compensation carbone, en l’adaptant au sujet biodiversité. "Il est important de communiquer de manière lisible sur ce qui est réellement mis en oeuvre, de ne pas soustraire une compensation à une mesure d‘impact, de s’assurer que les projets fassent l’objet d’une certification rigoureuse. La question du panachage géographique des projets soutenus se pose : si les impacts que l’on cherche à compenser sont évidemment souvent localisés, le financement de projets à l’international peut aussi contribuer à des flux nord/sud."
Enfin, les intervenants ont insisté sur la nécessité de sensibiliser les acteurs financiers. « Les données et outils ne sont que le début », conclut Julie Raynaud. « Il est essentiel que les investisseurs comprennent qu’une analyse prudente et nuancée est indispensable pour éviter les erreurs passées, comme celles observées dans le domaine du climat. »
L’intégration de la biodiversité dans la gestion des actifs financiers nécessite une combinaison d’indicateurs, une transparence méthodologique et une attention particulière aux contextes locaux. Si les outils actuels offrent des perspectives intéressantes, leur utilisation reste perfectible, notamment en matière de granularité et de dialogue entre les modèles. Comme le résume Florent Rebatel, "la dépendance à la biodiversité n’est pas un risque à éviter, mais une réalité à intégrer intelligemment." En cela, l’atelier a permis de poser les bases d’une réflexion collective pour élaborer de bonnes pratiques dans ce domaine en pleine évolution.
Source: www.linfodurable.fr